dimanche 8 mars 2020

Vous n'aurez plus le confort du silence

Incité par une copine, Céline, je suis allé à la manif pour la Journée Internationale de lutte pour les droits des femmes à Rennes aujourd'hui (on devait être trois, mais notre troisième larronne était malade).

Il y avait des panneaux bien percutants, dont voici deux exemples:
Mon préféré est celui de gauche. Celui de droite assimile le capitalisme destructeur au patriarcat ; honnêtement, je ne sais pas si on peut faire ce raccourci : pas sûr qu'une société non patriarcale donne autre chose.
Mais comme notre société patriarcale a débouché sur le capitalisme, après tout...

Adèle Haenel, Virginie Despentes étaient clairement à l'honneur, plusieurs panneaux reprenant la conclusion de son édito de Libé. À titre débatoire, je mets aussi en lien la réponse de Natacha Polony (l'opinion que je retire de cette réponse est que Polony se goure largement en disant que Despentes écrit un texte incitant à la haine des hommes, mais comme je trouve toujours intéressant d'avoir deux points de vue, surtout sur un sujet aussi complexe...).

Des femmes kurdes donnaient de loin en loin le rythme de la marche :
Jîn - Jîyan - Azadî : vie - femme - liberté. En fouillant un peu, je tombe sur ce reportage sur LensCulture,
mais aussi sur ce texte, nettement plus radical. Le PKK est considéré comme une organisation terroriste
même si - si j'en crois Wikipédia - l'évolution du mouvement vers des objectifs plus humanistes,
et déconnectés d'un objectif de prise du pouvoir, peut interroger sur ce statut.

Je ne sais pas quel chiffre donneront les comptages, mais j'estime qu'on était entre 2 et 3 000 à être venus marcher (Edit : environ 3 000, je commence à avoir l'œil). Comme à chaque fois, c'est à la fois beaucoup et très peu...

Sans aller jusqu'à dire que je cautionne ce type de dégradation de lieux de culture, en l'occurrence lorsqu'un groupe d'anars est allé tagger la vitrine du TNB, j'ai compris pourquoi. Clairement, ma première réaction a été une réprobation bien nette ; mais en discutant, je me suis rendu compte que là, cet acte posait une vraie question : ce type de lieux de culture, en diffusant le J'accuse de Polanski, cautionnait la notion de la séparation entre l'œuvre et son auteur.
Or, il se trouve que même maintenant j'ai du mal à écouter du Noir Désir parce que je suis incapable de me dire que, pendant qu'il écrivait des chansons magnifiques, Cantat battait sa femme (d'ailleurs cette question était interrogée sur un panneau aujourd'hui). Même si son œuvre ne se résume pas à cela, il n'en est que plus tragique qu'elle soit, à mes yeux en tout cas et de manière à peu près indélébile, entachée par cela. Le fait que Polanski ait reçu le César de la meilleure réalisation, en distinguant donc autant le bonhomme que son œuvre, me semble montrer clairement que la majorité des 1400 votants, théoriquement des gens cultivés à l'éducation poussée, ne la fait pas, cette différence. Alors je fais une différence nette entre Cantat et Polanski : Cantat a été reconnu coupable et a payé sa dette envers la société, même si cela ne change pas ses actes ; Polanski n'a pas été reconnu coupable. Mais je n'arrive pas à extraire leurs œuvres de ces gens. Un jour, peut-être arriverai-je à lire Céline (Louis-Ferdinand, hein, pas toi, Céline), mais je ne m'y suis pas encore résolu.
J'entends l'argument qui est de dire "Oui mais à ce compte-là, il y a sans doute des foultitudes d'artistes dont le comportement n'est pas beaucoup plus glorieux et que tu ne devrais donc pas apprécier non plus". En effet. Je ne connais pas la vie privée de l'ensemble des artistes que j'admire. Mais le fait que, depuis la mort de Marie Trintignant, cela a une importance cruciale sur le regard que je porte sur une œuvre ou un artiste, me semble une évolution positive.
Ensuite, des gens viendront argumenter sur la tyrannie de la bien-pensance...Ben je les laisse à leur argument. C'est con mais je n'ai rien à y répondre, à part de dire que, potentiellement, la bien-pensance a aussi mené à la fin de l'esclavage.

Au final, je remercie à fond Céline de m'avoir incité à venir ! Je renvoie ICI au texte qu'elle a écrit sur cette manifestation  



 

PS : j'ai hésité à corriger le titre de ce post et à l'accorder à la première personne du pluriel, vu que je suis un mec. Et puis je me suis dit que 'fallait pas non plus exagérer. Je ne m'inclus pas dans les violeurs ou les metteurs de main au cul, même s'il est impossible de dire que je suis totalement exempt de sexisme, parce que le sexisme patriarcal est tellement inclus dans notre société qu'il est probablement indécelable sur certains points (dont nous n'avons peut-être pas encore conscience mais qui nous serons peut-être reprochés plus tard !).

7 commentaires:

  1. C'est intéressant parce que je l'ai aimée, moi, la réponse de Polony... Comme j'ai été rebutée par la violence de Despentes.
    (ouais bon il est 23h hein, je développerai peut-être demain ;))

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    1. Alors... :)
      En fait ce que je n'ai pas aimé dans le texte de Despentes, c'est qu'elle s'adresse à une caste. Il y a les puissants nantis, et ça fait d'eux, par essence, des connards. Je trouve que Polony parle d'individus, c'est pourquoi elle est moins agressive : elle voit des nuances là où Despentes voit un système. Et moi, je n'y crois pas, aux systèmes :)

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    2. Je suis d'accord pour dire que le texte de Polony est bon parce qu'il est nuancé ; mais il est plus facile d'être nuancé après coup, avec le recul. J'ai mis le lien vers ce texte parce que, justement, il est bon (il m'arrive assez souvent d'écouter les débats où elle intervient le samedi midi, et c'est un voix qu'il est intéressant d'écouter, même quand on n'est pas d'accord, ce qui est, chez moi, la règle générale hors sujets consensuels).
      Non, en effet, le texte de Despentes n'est pas nuancé, oui il est violent, amer, il évoque la caste des puissants et la puissance d'un système, il ne fait pas dans la nuance en mêlant des sujets éclatés : le sacre d'un violeur potentiel (par 12 femmes, presque le titre d'un film), et puis sur Dreyfus en plus, la victime de l'omerta ; l'attribution de tant d'argent public pour ce projet artistique ; le passage en force d'un gouvernement. Mais peut-être aussi que le sentiment d'un mépris des gens modestes, de ceux qui se sentent victimes, ou qui pensent qu'on les maintient dans un sentiment de vulnérabilité ou au minimum qu'on laisse faire (par exemple, dans le monde du sport, ou le grrrrand débat qui a fini dans un verre d'eau - et je suis gentil, je devrais dire "qui a fait l'objet de contresens sciemment et au grand jour" - et merde, je l'ai écrit, ou si on va plus loin chronologiquement le plan banlieue de Borloo qui doit servir à caler une étagère, allez, et je mets la COP21 dans le lot parce qu'une fois que ça a été signé, qu'est-ce qu'on a fait ? oui, les US n'aident pas sur ce sujet, non, je ne me souviens pas d'avoir entendu une grande voix de la France en cohérence avec des actes en politique intérieure sur le sujet, la politique environnementale du gouvernement est la plus rétrograde depuis Mitterrand), entraîne des surgissements, des éruptions comme quand un volcan pète parce qu'il y a trop de pression dessous et trop de rigidité dessus.
      Et peut-être, et j'espère un peu, que toutes ces gueulantes, ces coups de sang et ces manifs veulent dire que les choses changent un peu. Je ne me fais pas d'illusion : c'est pas demain que tout va changer d'un coup, et je ne pense pas que ce soit souhaitable : on ne change pas un système comme on change la place des meubles dans son salon. Je suis plutôt réformateur que révolutionnaire. Mais la nomination de Polanski m'a un peu fait l'effet d'un coup de batte dans la gueule, bien indécent(il y a d'ailleurs un contraste d'autant plus saisissant avec le monde du sport ou, vu de l'extérieur, on a l'impression que les choses changent). S'il avait reçu le césar de la meilleure adaptation, j'aurais pu comprendre : je pouvais l'interpréter comme essayant de faire une différence entre le mec et son œuvre, je suis pas certain d'être d'accord mais intellectuellement, je pouvais envisager. Là, ça va au-delà de ce que je peux même simplement comprendre. Alors que quelqu'un pousse un coup de gueule, qui parle de tout ça, ben...Moi, ça me va.

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    3. Je sais à quel point je suis cynique, mais c'était écrit dans le ciel que Polanski allait l'avoir, ce César... Quand est-ce que les nominations, en France, ont surpris qui que ce soit ? Aux Césars, aux Victoires de la Musique, à Cannes ? J'arrive pas à croire que tu tombes des nues, et encore moins les meufs présentes à la cérémonie.

      Et regarde, moi aussi je vais mélanger des sujets sans rapport les uns avec les autres. C'est malhonnête, mais je pense que tu verras pourquoi ça me chiffonne, du coup. Aujourd'hui j'ai lu un article sur Florence Foresti qui répond à Hanouna (une belle raclure, on est d'accord), qui l'accuse d'avoir touché une somme mirobolante pour sa présentation des Césars. Et elle de répondre : "je n'ai touché que 18 000 €, renseigne-toi et on reparlera de la différence de salaire entre hommes et femmes."

      18000€, meuf... Pour quoi, quatre heures de présentiel devant les caméras ? (viens pas me parler du taf que ça a demandé - je parle à Foresti, pas à toi :) - je suis prof ^^) Mais pour moi c'est tellement indécent d'annoncer que t'as touché en une soirée ce que des tas des gens mettent un an et demi à gagner, que j'ai même pas envie de t'écouter.
      Alors, elles font pas partie des nantis, ces meufs ? Elles participent pas allègrement au système qu'elles méprisent ? Et au prétexte de quoi ? Elles avaient pas le choix ? T'as toujours le choix, enfin, surtout quand tu touches des cachets pareils. T'avais le droit de pas y assister, aux Césars. T'avais le droit de pas aller dans la chambre de Wenstein, quand tu savais ce qui tournait sur lui, et franchement, qui est assez cruche pour aller seule dans la chambre d'un type qu'elle connait pas ? Sérieusement, ça excuse pas le gars, mais tu l'as validé ! À un moment, quand t'as préféré la gloire à l'anonymat, quitte à payer ce prix-là, t'es pas la mieux placée pour venir me dire quels hommes je devrais mépriser.

      Tu vois (là je te parle à toi Ent ;)) je suis pas sûre que cette tirade t'ait convaincu. Pourtant elle est furieuse et sincère. Mais j'ai jeté en vrac mes rancœurs et mes révoltes, j'ai mélangé les sujets, et j'ai l'air de quoi ? J'ai convaincu qui ?
      J'en peux plus, en fait, d'entendre des gens se hurler dessus. Y'a pas de débat, seulement des gens qui campent sur des positions de moins en moins nuancées, normal, vu ce qu'ils se prennent dans la gueule dans les deux camps. Alors j'attends des "intellectuels" qu'ils agissent comme tels, et qu'ils cessent d'alimenter les guerriers en combustible. Donnons la parole à des hommes comme toi, comme Raphael Descragues ou qui sais-je, et cessons de donner tant d'importance à quelques roitelets dans leurs tours d'ivoire en train de s'effondrer. L'anonymat et le mutisme auxquels ils seraient réduits serait bien plus efficace. Que les femmes cessent de se pointer aux Césars. Qu'elles créent leurs propres nominations.

      Je terminerai en t'avouant qu'après avoir lu le texte de Natacha Polony, je me suis tournée vers Mathias et je lui ai dit : "putain... J'ai préféré Polony à Despentes... Ça fait mal !..." (je DETESTE Natacha Polony, de base. Alors que j'ai lu presque tout Despentes et qu'elle est une idole en termes d'écriture.)

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    4. Un grand merci pour ta longue réponse !!!

      Ce n’est pas toi qui es cynique, c’est la situation qui l’est ; personne n’a été surpris que Polanski obtienne un César, ni moi, ni Despentes qui commence son texte par ça, d’ailleurs. Je n’ai pas dit que je tombais des nues (avec 12 nominations, ç’aurait été difficile -mais ça aurait pu être drôle), j’ai dit que j’avais pris un coup de batte dans la tronche, parce que ça me paraît tellement indécent…

      Pour Foresti, c’est le même problème que pour tous ceux qui gagnent des salaires mirobolants comme les footeux pro (allez, j’ajoute un sujet en plus, juste pour assaisonner) et qui en parlent : ça aussi, ça a un côté indécent. En l’occurrence, j’ai lu qu’elle répondait à Hanouna qui citait le chiffre de 130 000 euros.
      Je suis d’accord pour dire qu’il y avait le choix de ne pas se présenter à cette cérémonie, et en l’occurrence l’attitude de Foresti m’est apparue très vite un tantinet hypocrite (elle pouvait se décommander rien qu’en voyant le nombre de nominations). Par contre, pour les personnes (acteurs, réalisatrice, etc.) du Portrait de la jeune fille en feu, leur présence me semble se justifier parce que, l’issue eût-elle été différente, juste moins contrastée entre les deux films et le césar de la réalisation donnée à quelqu’un d’autre, l’impression et éventuellement le message auraient pu être différents.

      Je ne suis pas sûr de connaître suffisamment le monde du cinéma, mais je suppose cependant que quand tu déboules de ta brousse, jeune actrice pleine d’espoir, pas sûr que, les pressions des agents / autres s’exerçant, tu ressentes le choix de la même manière...Et je ne suis pas du tout sûr d’être d’accord pour dire qu’il y a un consentement tacite dans le fait d’aller dans la chambre d’hôtel de quelqu’un. De la connerie oui, sans doute, et probablement dans une partie des cas un consentement, mais probablement pas dans tous (ou alors ma foi en l’humanité...ouais non, en fait je n’ai pas foi en l’humanité).

      Je suis mille fois d’accord sur le fait que les gens ne débatent plus, et je n’en comprends que plus ta colère. Mais je ne suis pas d’accord avec ton idée que les femmes devraient créer leurs propres nominations : cela n’est-il pas une forme de polarisation ? Non, il faudrait effacer les anciennes nominations et créer de nouvelles célébrations, qui soient égalitaires, je pense. Je ne connais pas Raphael Descragues, mais je vais me renseigner !

      Polony était bien plus nuancée que Despentes, c’est donc logique que tu aies préféré son texte…

      Et, quoi qu’il arrive, vivent le débat, la discussion et l’échange.

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    5. J'attendais avec beaucoup d'impatience ta réponse, j'avais peur d'avoir été blessante...

      Être cruche n'est pas consentir, je suis entièrement d'accord et n'ai pas voulu sous-entendre autre chose. Et ça n'empêche en aucun cas que le mec, Weinstein ou autre, soit une crevure. Mais je trouve toujours ça un peu "marrant", l'idée qu'une meuf se pointe à un "rendez-vous professionnel" dans une chambre d'hôtel. J'ai du mal à croire qu'elle ne sente pas venir le piège. Le sujet est traité dans Glow, une série Netflix sur le catch féminin. Deux nanas qui appartiennent à la troupe se retrouvent dans cette situation. L'une des deux se barre dès qu'elle comprend ce qui se trame, et l'autre l'engueule en lui disant, peu ou prou, que les hommes fonctionnent comme ça et qu'il va bien falloir qu'elle s'y fasse. Je pense que beaucoup de filles qui se sont retrouvées dans cette situation ont pensé ça, et c'est ce que j'entendais par "valider" le mec : en acceptant que ces hommes-là fassent ce qu'ils font, à aucun moment tu ne les prives de leur pouvoir.

      Il me semble que le monde est déjà polarisé. Mais j'ai été un peu vite, je ne voulais pas dire que les femmes devraient créer toutes seules des nominations qui ne concerneraient qu'elles : c'est juste qu'il y a l'air d'avoir suffisamment de gens énervés, je pense donc qu'ils peuvent snober les Césars et inventer une nouvelle cérémonie. J'ai un peu de mal avec l'égalitarisme, dans le sens où tant qu'il y aura moins de femmes que d'hommes à oser se lancer dans la création artistique, ben c'est mathématique qu'il y ait plus de nominations masculines. Ça, plus le fait qu'être une femme ne suffit pas à faire de toi une artiste talentueuse ; or la parité exige de récompenser autant de femmes que d'hommes, au détriment éventuel de la qualité.

      Raphael Descragues a réalisé Les dissociés, dispo sur Youtube, et c'est un film merveilleux qui interroge beaucoup les corps et les frontières de genre (en plus d'être drôle et émouvant). Il a raconté chez Madmoizelle qu'il aimait bien se vernir les ongles (il les portait justement vernis ce jour-là) et il est très... cool, le genre de personne qui est ce qu'elle est, c'est tout.

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    6. Aucun risque que je me sente blessé, je sais que ce ne serait pas ton intention, et j’entends ta colère aussi, bien légitime face à la disparition du débat d’idée face à l’expression purement immédiate. Je suis désolé d’avoir mis un peu de temps à te répondre, je crains, du coup, de t’avoir faite stresser.

      Je vois bien ce que tu veux dire. Ce qui est triste, c’est d’une part qu’un rendez-vous professionnel puisse avoir lieu dans une chambre d’hôtel, et aussi qu’il soit inscrit dans les mœurs que c’est comme ça, que ce soit accepté, que la possibilité du piège soit institutionnalisée.

      Je ne suis pas sûr qu’il y ait moins de femmes que d’hommes à oser se lancer dans la réalisation artistique. Ce dont je suis à peu près certain, c’est qu’on n’ouvre probablement pas les mêmes portes à celles qui le font qu’aux mecs, et qu’on ne les récompense pas de la même manière (par un concours de circonstance pas très gai, la seule femme ayant eu le césar de la meilleure réalisatrice, Toni Marshall, vient de décéder).
      Je pense aussi que l’égalité, instaurer au moins un ration minimum entre les genres dans certaines institutions (je serais curieux de connaître la sex-ratio dans le jury des Césars), du genre 40-60, ça ne serait pas si mal. Parce que je pense qu’on se rendrait compte que les mecs n’ont ni plus ni moins de talent / aptitude que les meufs, et réciproquement.

      Merci pour le tuyau sur Raphael Descragues, je vais regarder ce film !

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