samedi 27 août 2016

Combien de voiles ?

Le conseil d'Etat a donc statué sur l'illégalité des arrêtés municipaux interdisant le port des burkinis sur les plages des communes concernées. On imaginerait bien que cela constituerait un point final à la fois définitif et un peu plus digne que les échanges catastrophiques de ces dernières semaines sur ce sujet ; malheureusement, notre personnel politique n'ayant de ce qualificatif que le nom (ha ha), ce n'est pas gagné.

Le seul truc qui apparaît salutaire dans tout ça, c'est que quelques personnes de droite se sont quand même prononcées (avant que le Conseil d'Etat s'exprime) contre ces interdictions : il y a donc des gens logiques à droite.
Ce qui est fichtrement inquiétant, c'est que des personnes étiquetées "à gauche" se sont fourvoyées dans un discours quasi-sarkozyste sur le sujet : Manuel Va...Ah non, je parlais de gens de gauche. Non non, en fait, je n'ai pas entendu de gens de gauche s'exprimer de cette façon sur le sujet.

Les femmes voilées ont donc le droit de se baigner dans l'espace public en burkini, ce vêtement ne portant atteinte ni aux bonnes mœurs, ni à l'ordre public.

En fait, le burkini ne cachant pas le visage, il s'apparente plus à un voile simple qu'autre chose. Par conséquent, s'il y avait une question à se poser, je pense que ç'aurait plutôt été celle du voile islamique : dans notre société, accepte-t-on que quelqu'un porte le voile - ou non ?

J'ai fait un peu le tour des opinions sur le burkini autour de moi, mais, se rapportant plus à mon sens à la question du voile, je les mets ici. En gros, j'ai rencontré deux blocs d'opinions :
- on est dans une république laïque, alors aucun signe religieux ostentatoire (clochers d'églises compris) ne devrait être toléré dans l'espace public ;
- tout le monde devrait pouvoir s'habiller comme il le souhaite, y compris pour se baigner (mais dans certains discours, avec la nuance du "si ça permet à ces femmes de se baigner c'est bien, mais cependant, je suis opposé(e) au voile en soi")
Alors, qu'en penser ?

Bruno Nassim Aboudrar retrace dans un livre (que je n'ai pas lu) l'histoire du voile islamique. Il explique (par exemple ici, et ) que l'origine du voile n'est pas nécessairement musulmane mais qu'un vêtement, aussi bien porté par les femmes que les hommes, était occasionnellement rabattu sur la tête voire le visage. Quiconque a lu, par exemple, l'Iliade et l'Odyssée d'Homère se souviendra de nombreuses occasions où ce geste est décrit - il me vient en tête la supplication de Priam à Achille, mais il y en a sans doute bien d'autres).
Il rappelle également que le Coran n'évoque le voile que trois fois, en réalité : une fois pour protéger les femmes de Mahomet, une fois pour qu'elles abaissent un voile sur leur poitrine en présence d'un étranger, une fois comme le meilleur moyen de ne pas être offensée.
Sur ce dernier point, on peut éventuellement se dire que ça ressemble à un "si tu te balades en bikini, t'étonnes pas de te faire siffler / aggresser / violer, mais bon, outre que dans des sociétés hyperpatriarcales ce n'est pas vraiment surprenant, le fait important reste que l'islam ne fait pas de fixette sur le voile, à la base. Si on va voir un peu sur le net, on peut par exemple trouver une description assez précise de ce que peut être le voile, par les musulmans de l'Oumma : le mot "voile" recouvre plusieurs vocables arabes, qui décrivent parfois le vêtement, parfois désignent le concept d'occultation, de ce qui sépare la créature humaine de la révélation divine.
Il est également intéressant de voir que, je cite : "pour la non observation du port du voile, la Loi n’a pas prévu de sanction temporelle, car il s’agit là d’une question relevant de l’au-delà (contrairement au meurtre ou au vol)."
Il y a également ici une intéressante quoique difficile à suivre description de la perception du voile dans la vision soufie de l'islam.

De tout cela (et du reste), que retiré-je ?


- à la base, nous vivons dans un Etat de droit (enfin, il paraît, en tout cas), ayant adopté les déclaration universelle des Droits de l'Homme en 1948, dont les articles 18 et 19 sur la liberté de religion et la liberté d'expression. Donc tout le monde peut avoir une religion et l'exprimer ;
- nous vivons dans un pays laïque qui a édicté une loi sur la laïcité en 1905, qui interdit notamment d'apposer aucun signe religieux en quelque emplacement public que ce soit en-dehors de tout édifice servant au culte. Les dispositions légales récentes parlent de signe "ostentatoire", ce qui est suffisamment flou pour qu'on en fasse n'importe quoi. N'importe qui est donc en droit d'arborer des signes religieux dans la rue (sinon, on ne verrait plus de bonne sœur / moine bouddhiste / shaman animiste dans les rues. Non, on n'en voit pas beaucoup, mais il ne leur est pas interdit de circuler) ;
- même si, à l'origine, le voile n'est pas nécessairement une spécificité islamique, il est devenu, de fait, associé à cette religion (en tout cas en Occident) ;
- même si, dans les textes ou les interprétations citées, il n'y a pas d'obligation pour une femme de se voiler la tête, l'histoire récente nous enseigne qu'il y a (toujours)(souvent)(dans certains cas) - rayer la mention inutile - au minimum une pression sociale, voire une obligation sous peine de violence, de porter le voile, voire de "bien" le porter (je conseille à mes éventuels contradicteurs de lire/regarder Persépolis de Marjane Satrapi, entre autres) ;
- par définition, il m'est impossible de savoir si une femme voilée est contrainte de porter son voile ou si elle le fait par volonté personnelle, sauf à lui poser la question directement - je vois ça d'ici : il y a des femmes musulmanes non voilées, des femmes non musulmanes qui portent des foulards, des femmes musulmanes qui portent le voile par choix et d'autres - probablement - par obligation (voire les deux).

Et la conclusion, me direz-vous ?
Légalement, il n'y a actuellement aucune possibilité d'interdire le voile ni donc, le burkini. Humainement, en tout cas en Occident, des femmes portent le voile par choix. Il n'y a donc pas non plus de fondement pour l'interdire, au moins pour cette liberté-là (anticlérical speaking). Je ne vois donc que ce truc que les impatients détestent : le travail de longue haleine sur l'humain, qui doit permettre à tout le monde de pouvoir s'exprimer / se vêtir / se maquiller comme il le souhaite, ce qui ne sera véritablement en cours d'acquisition que lorsque, dans une famille musulmane, on acceptera que les filles ne se voilent pas si elles ne le veulent pas (et après, on s'occupera des fils de Sikh coiffeurs).
Mais malheureusement, je ne suis pas sûr qu'on en prenne le chemin : je ne peux pas m'empêcher, en croisant une femme voilée, de me demander si elle l'est par choix ou non. Le fait de se poser la question est, peut-être, une avancée par rapport à quelques dizaines d'années ; mais cela reste symptomatique du chemin qu'il reste à parcourir. La paix ne peut peut-être être atteinte qu'au bout d'un long chemin.

Salaamoun, la paix

Ah, et pour ceux qui voudraient se recaler sur les différents types de voiles : c'est ici (je conseille fortement ce dernier lien, très didactique)


samedi 13 août 2016

Lucarnes

Je suis une fenêtre,
Le monde à travers moi.
Le monde voit
Ce qu'on veut bien lui laisser voir.
Parfois on m'ouvre,
On accepte le monde intérieur.
C'est amical ; c'est courageux.
Je suis une fenêtre ;
On regarde négligemment à travers moi,
Je suis sale ; je suis trouble,
Un carreau obscurci.
Monde déformé,
Directions faussées, actes erronés.
Lavée, le monde :
Soleil, nuages et vent,
Pluie et brouillards,
La nuit,
Nets.