dimanche 9 février 2020

J'ai participé fin 2019-début 2020 à des ateliers visant à fabriquer un conte et à le conter, organisés par la médiathèque de Mordelles ; après beaucoup d'erreurs et de fausses pistes, ça a donné ça :



Ce soir, je vais vous raconter l’histoire d’une gratte.
Cette gratte-là, c’est un marin, fils fugueur de luthier qui l’avait fabriquée avec une caisse de vin, un morceau d’espar fixé dessus. Il avait acheté un lot de cordes pour deux sous à un musicien de passage sur le navire et avait réussi, en tâtonnant, à leur donner la bonne tension. Il n’avait pas mis de frettes, il jouait à l’oreille, un peu comme d’un oud. Je ne vais pas prétendre qu’il jouait bien, mais comme il n’en jouait quand même pas trop mal, le capitaine tolérait qu’il en joue et les autres marins, s’ils étaient d’humeur, partaient même parfois à chanter pour accompagner la musique.
Un jour, le navire de commerce, se trouvant à court d’eau douce et de produits frais, fit relâche dans le port d’une petite île, pour deux jours. Nul ne sait exactement ce qu’il s’y passa, mais il y eut un remue-ménage au soir ; des policiers poursuivirent un marin qu’ils n’attrapèrent jamais, peut-être parce qu’on leur avait indiqué une mauvaise direction. Le capitaine du navire, qui avait des raisons pour que les autorités ne fouillent pas trop son bâtiment, se dépêcha de mettre les voiles, avec le marin et sa guitare à son bord.
Ils partirent au large, et de ce jour naviguèrent plusieurs années, le navire, son capitaine, son marin et sa guitare toujours à bord.
Un soir, le marin attendait de prendre son quart en jouant de la guitare, comme il en avait l’habitude, assis sur une lisse, et il regardait la mer. Le soleil venait de se coucher, et seule une faible rougeur éclairait encore la mer, à l’ouest. La lune luisait comme une montre ronde, faisant scintiller par intermittence la crête des vagues. Le vent sifflait, et le ressac battait le bordage à petits coups réguliers.
Soudain, il lui sembla entendre comme une musique, une flûte, qui provenait de la mer. La mélodie accrocha son esprit et, sans en avoir vraiment conscience, il se leva et, passant le parapet, il posa le pied sur une conque apparue en silence. Tiré par deux tritons, il traversa la mer vineuse jusqu’à atteindre une côte découpée, dans la lumière du matin. L’esprit porté par la musique, il chemina sur un quai de pierres lourdes parcourues de figures étrangement évanescentes, et qui du reste ne lui prêtaient absolument pas attention. Il franchit des canaux, longea des palaces, jusqu’à prendre une venelle. Au bout, une porte de bois massif cloutée de fer ; derrière, une cour jardinée. Une odeur de chèvrefeuille marquait l’atmosphère.
Une femme vêtue de blanc, au grand chapeau, l’attendait. Brune de peau elle était, et sombres ses cheveux ; et sous ses yeux clairs, ses lèvres étaient d’or.
« Ah, te voilà, marin, oui, oui. » Elle porta un fin cigarillo à sa bouche et exhala un long nuage de fumée. « Tu as amené ta guitare, bien, bien...J’ai besoin de mêler ta musique à celle d’un autre. »
Elle leva une main, et un air de flûte s’éleva dans les airs. Sans un mot, le marin positionna sa guitare et se mit à jouer.
Les deux mélodies se mêlaient dans le calme du jardin dans la nuit, s’accordant parfaitement, quoique l’air de flûte, légèrement malhabile, semblât joué par un enfant.
La femme à la bouche dorée s’adossa au mur et ferma les yeux, semblant s’absorber dans la beauté de cette musique. Des volutes de fumée se formaient, et se dissipaient dans l’air lorsqu’elle expirait. Quand les dernières notes eurent fini de s’égrener, elle soupira.
« Allons, il semble que tout l’or du monde ne puisse acheter une place dans les cieux, non, non. Dommage. 
Marin, tu m’as apporté là un réponse que j’attendais depuis bien bien long. Pour te remercier, je vais te faire un présent. Mais tu ne le reconnaîtras pour ce qu’il est que lorsque tu le verras. Retourne maintenant à ton navire, à ton quart, et à ta vie. »
Le marin ouvrit les yeux. Il était toujours sur sa lisse, et le bois sous sa main lui paraissait tout ce qu’il y a de plus réel ; mais la fragrance d’un chèvrefeuille en fleur également, même si la brise marine eût tôt fait de la chasser.
Il prit son quart, et sa vie de marin se poursuivit. Il jouait toujours de la musique sur sa guitare, mais il n’avait plus le même entrain ; il lui semblait qu’il y manquait quelque chose.
Comme il arrive parfois dans le monde du commerce, il advint que le navire traversât une période creuse. Ils faisaient des distances ridicules pour convoyer des marchandises qui parfois ne l’étaient pas moins. Il leur arrivait de naviguer à perte.
Un jour, alors que le marin jouait, il sentit quelque chose de tiède lui tomber sur l’épaule. Il regarda sa vareuse, et leva les yeux au ciel en insultant tous les goélands de la terre ; puis il se reprit : un oiseau, cela voulait dire que la terre était proche. Ils virent bientôt l’île et y accostèrent.
À peine le marin eût-il posé le pied dans à terre, qu’il entendit une flûte malhabile, malgré l’ambiance bruyante créée par l’activité du port. Il saisit sa guitare et se dirigea vers l’origine de la mélodie. Il marcha longtemps, ne prêtant pas attention au fait qu’il était impossible que le son de cette flûte d’enfant parvienne à ses oreilles d’aussi loin, surtout avec le bruit ambiant.
Il traversa la ville, pour arriver à une petite place de village. Là, parmi des adultes vaquant à leurs occupations, se trouvait un enfant, qui jouait de la flûte à bec. Le regard de ses yeux noirs le transperça, mais il souriait en jouant de son instrument.
Lui rendant son regard, le marin saisit le sien, et commença à jouer.



Un grand merci à cette très dynamique médiathèque d'avoir organisé ces ateliers !