J'ai participé fin 2019-début 2020 à des ateliers visant à fabriquer un conte et à le conter, organisés par la médiathèque de Mordelles ; après beaucoup d'erreurs et de fausses pistes, ça a donné ça :
Ce
soir, je vais vous raconter l’histoire d’une gratte.
Cette
gratte-là, c’est un marin, fils fugueur de luthier qui l’avait
fabriquée avec une caisse de vin, un morceau d’espar fixé dessus.
Il avait acheté un lot de cordes pour deux sous à un musicien de
passage sur le navire et avait réussi, en tâtonnant, à leur donner
la bonne tension. Il n’avait pas mis de frettes, il jouait à
l’oreille, un peu comme d’un oud. Je ne vais pas prétendre qu’il
jouait bien, mais comme il n’en jouait quand même pas trop mal, le
capitaine tolérait qu’il en joue et les autres marins, s’ils
étaient d’humeur, partaient même parfois à chanter pour
accompagner la musique.
Un
jour, le navire de commerce, se trouvant à court d’eau douce et de
produits frais, fit relâche dans le port d’une petite île, pour
deux jours. Nul ne sait exactement ce qu’il s’y passa, mais il y
eut un remue-ménage au soir ; des policiers poursuivirent un
marin qu’ils n’attrapèrent jamais, peut-être parce qu’on leur
avait indiqué une mauvaise direction. Le capitaine du navire, qui
avait des raisons pour que les autorités ne fouillent pas trop son
bâtiment, se dépêcha de mettre les voiles, avec le marin et sa
guitare à son bord.
Ils
partirent au large, et de ce jour naviguèrent plusieurs années, le
navire, son capitaine, son marin et sa guitare toujours à bord.
Un
soir, le marin attendait de prendre son quart en jouant de la
guitare, comme il en avait l’habitude, assis sur une lisse, et il
regardait la mer. Le soleil venait de se coucher, et seule une faible
rougeur éclairait encore la mer, à l’ouest. La lune luisait comme
une montre ronde, faisant scintiller par intermittence la crête des
vagues. Le vent sifflait, et le ressac battait le bordage à petits
coups réguliers.
Soudain,
il lui sembla entendre comme une musique, une flûte, qui provenait
de la mer. La mélodie accrocha son esprit et, sans en avoir vraiment
conscience, il se leva et, passant le parapet, il posa le pied sur
une conque apparue en silence. Tiré par deux tritons, il traversa la
mer vineuse jusqu’à atteindre une côte découpée, dans la
lumière du matin. L’esprit porté par la musique, il chemina sur
un quai de pierres lourdes parcourues de figures étrangement
évanescentes, et qui du reste ne lui prêtaient absolument pas
attention. Il franchit des canaux, longea des palaces, jusqu’à
prendre une venelle. Au bout, une porte de bois massif cloutée de
fer ; derrière, une cour jardinée. Une odeur de chèvrefeuille
marquait l’atmosphère.
Une
femme vêtue de blanc, au grand chapeau, l’attendait. Brune de peau
elle était, et sombres ses cheveux ; et sous ses yeux clairs,
ses lèvres étaient d’or.
« Ah,
te voilà, marin, oui, oui. » Elle porta un fin cigarillo à sa
bouche et exhala un long nuage de fumée. « Tu as amené ta
guitare, bien, bien...J’ai besoin de mêler ta musique à celle
d’un autre. »
Elle
leva une main, et un air de flûte s’éleva dans les airs. Sans un
mot, le marin positionna sa guitare et se mit à jouer.
Les
deux mélodies se mêlaient dans le calme du jardin dans la nuit,
s’accordant parfaitement, quoique l’air de flûte, légèrement
malhabile, semblât joué par un enfant.
La
femme à la bouche dorée s’adossa au mur et ferma les yeux,
semblant s’absorber dans la beauté de cette musique. Des volutes
de fumée se formaient, et se dissipaient dans l’air lorsqu’elle
expirait. Quand les dernières notes eurent fini de s’égrener,
elle soupira.
« Allons,
il semble que tout l’or du monde ne puisse acheter une place dans
les cieux, non, non. Dommage.
Marin,
tu m’as apporté là un réponse que j’attendais depuis bien bien
long. Pour te remercier, je vais te faire un présent. Mais tu ne le
reconnaîtras pour ce qu’il est que lorsque tu le verras. Retourne
maintenant à ton navire, à ton quart, et à ta vie. »
Le
marin ouvrit les yeux. Il était toujours sur sa lisse, et le bois
sous sa main lui paraissait tout ce qu’il y a de plus réel ;
mais la fragrance d’un chèvrefeuille en fleur également, même si
la brise marine eût tôt fait de la chasser.
Il
prit son quart, et sa vie de marin se poursuivit. Il jouait toujours
de la musique sur sa guitare, mais il n’avait plus le même
entrain ; il lui semblait qu’il y manquait quelque chose.
Comme
il arrive parfois dans le monde du commerce, il advint que le navire
traversât une période creuse. Ils faisaient des distances ridicules
pour convoyer des marchandises qui parfois ne l’étaient pas moins.
Il leur arrivait de naviguer à perte.
Un
jour, alors que le marin jouait, il sentit quelque chose de tiède
lui tomber sur l’épaule. Il regarda sa vareuse, et leva les yeux
au ciel en insultant tous les goélands de la terre ; puis il se
reprit : un oiseau, cela voulait dire que la terre était
proche. Ils virent bientôt l’île et y accostèrent.
À
peine le marin eût-il posé le pied dans à terre, qu’il entendit
une flûte malhabile, malgré l’ambiance bruyante créée par
l’activité du port. Il saisit sa guitare et se dirigea vers
l’origine de la mélodie. Il marcha longtemps, ne prêtant pas
attention au fait qu’il était impossible que le son de cette flûte
d’enfant parvienne à ses oreilles d’aussi loin, surtout avec le
bruit ambiant.
Il
traversa la ville, pour arriver à une petite place de village. Là,
parmi des adultes vaquant à leurs occupations, se trouvait un
enfant, qui jouait de la flûte à bec. Le regard de ses yeux noirs
le transperça, mais il souriait en jouant de son instrument.
Lui
rendant son regard, le marin saisit le sien, et commença à jouer.