lundi 9 février 2015

Inconnu à cette adresse, Monsieur le Commandant

J'ai lu récemment Monsieur le Commandant, de Romain Slocombe.

P.J. Husson, antisémite convaincu et pétainiste engagé se découvre une passion pour Elise Berger, actrice  allemande dont il apprend rapidement qu'elle est juive dans des années où il ne fait pas bon devoir arborer une étoile jaune.

Au fur et à mesure de la lecture, je n'ai pu qu'être de plus en plus horrifié de ce que ce personnage égoïste, haineux, soupçonneux, atteint d'une tare humaine plus répandue que je ne le voudrais, celle de rechercher immédiatement quelqu'un pour porter le chapeau dès lors qu'un problème survient est capable de dire et de faire.
Mais ce qui rend le plus horrible ce bonhomme, c'est la part de courage et d'audace, mêlée à sa lâcheté par ailleurs générale, dont il fait par moments preuve : aux coups durs, il tente de répondre, dans les limites intellectuelles / sociales qui sont celles dans lesquelles il voit le monde. Ce sont ces limites étriquées, dépourvues d'humanité qui le font agir en monstre - et quel monstre. Il n'est pas possible d'en dire plus sans porter atteinte à la découverte du livre, mais je le vois comme porteur de ce message simple et pourtant si peu lisible : la force de caractère, l'esprit de décision, ne sont que des outils qui peuvent très bien être utilisées à mauvais escient entre les mains d'un esprit à oeillères. L'ouverture d'esprit, qui aurait dû permettre de combattre le nazisme si ce dernier n'avait été l'apothéose de siècles d'antisémitisme, est la seule arme contre cela. Outre cela, cet homme, dont les convictions étaient si terriblement enracinées en lui, perd ces repères par lesquels il se définissait...C'est aussi un roman sur la façon dont un esprit aussi éduqué que le sien peut réagir face à la perte de ces repères.
Et c'est très, très bien écrit.

Dans mon esprit, ce livre fait écho à Inconnu à cette adresse, de Kathrin Kressmann Taylor. Ce roman épistolaire court décrit les échanges entre Max, juif émigré aux Etats-Unis, et Martin, allemand de souche resté au pays, et qui géraient auparavant ensemble une galerie d'art.
Outre que ces deux oeuvres présentent des points communs de forme (des livres courts, bien écrits, qui interpellent le regard du lecteur sur le nazisme et les horreurs dont il fut à l'origine, et mettent en scène des lettrés pour mieux mettre en avant la déchéance intellectuelle que représente l'acceptation de ces "pensées"), ils interpellent tous deux sur les fanatismes, et la façon dont on regarde ceux qui en sont porteurs.


Ce sont, tous les deux, des œuvres que j'aime détester. En plus, en format poche, ces livres ne coûtent que quelques euros - ils ne seront pas dépensés en vain.

2 commentaires:

  1. Je me dis que je dois lire Inconnu à cette adresse depuis que j'ai commencé à enseigner. Puis je renonce car j'ai développé une espèce d'allergie intellectuelle aux livres consacrés à la seconde guerre mondiale. Pas que je les trouve surnuméraires, pas que je ne veuille plus en entendre parler... Mais c'est comme si ma première année de fac avait eu raison de mes barrières psychologiques. Les naufragés ou les rescapés de Primo Levi, L'espèce humaine de Robert Anthelme, La douleur de Duras... Tous ils ressassent un cauchemar bourbeux, enfoui dans ma mémoire.

    'fin bref, je ne sais pas pourquoi je te raconte ça de bon matin :)
    Je ne savais pas que Romain Slocombe écrivait, et encore moins qu'il écrivait sur autre chose que le bondage japonais :P Je suis curieuse, donc !

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    1. Salut Kalys,

      merci pour ce premier post sur ce blog "peau neuve" !

      Très franchement, Inconnu à cette adresse est intéressant, non seulement parce qu'il est à la fois court, facile d'accès, accrochant dans la progression, horrible ; mais aussi parce qu'il a été écrit AVANT la deuxième guerre mondiale : 1938. Les évènements étaient déjà fort avancés en Allemagne à cette date-là, mais la date d'écriture n'en donne pas moins au texte un parfum particulier, celui de l'avertissement non écouté. C'est un livre saisissant. Et l'année des 70 ans de la fin de cette guerre, de la libération des camps, etc. est probablement un bon moment pour le lire ! ;-D En plus, il pourrait très bien entrer dans la catégorie "a book you can finish in a day" !

      Sur l'aspect "ressasser un cauchemar bourbeux", c'est peut-être le genre de trucs qui peut s'exorciser (mais les mieux placées pour le savoir c'est ta tête et toi)...Mais ça reste pour moi quelque chose d'important que de continuer à entretenir une certaine conscience de ce qui a pu se passer, et de pouvoir, plus tard, la transmettre à mes gamins.

      Le bouquin de Slocombe ne peut, lui, se lire dans la journée qu'en commençant assez tôt et en finissant le soir (mais c'est possible). Je ne connaissais pas le bonhomme d'avant, comme quoi, il manque vraiment des choses à ma culture...Mais il a l'air de s'orienter vers l'écriture de romans, depuis quelques années.

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