jeudi 3 octobre 2024

Charme rompu

 

Tout ce mensonge

D’artistes riches, généreux,

De résistants humains,

Est mort sous tes poings,

Dans l’alcool et la drogue.


Drame pour elle,

Drame pour eux,

Drame pour toi,

Drame pour nous

Qui vous croyions.


Tu as rompu le charme

Converti la beauté

En chansons réussies

Des ritournelles dont l’âme

N’est plus.


Et ces chansons,

Je les chante encore parfois,

Entraîné par l’air et le fantôme

D’anciennes fascinations,

Ces beaux enthousiasmes ;


Et souvent je m’arrête,

Incapable de poursuivre,

Coupable d’avoir repris

Des refrains cachant

Ces noirs secrets.


Et je m’en veux de m’arrêter

Et je t’en veux d’avoir détruit

Cette force, les messages portés,

Et plus encore de

Les avoir bâtis sur la honte.

 


 

samedi 21 septembre 2024

Certaines n'avaient jamais vu la mer

J'ai lu récemment ce livre proposé par la personne qui anime, depuis de nombreuses années maintenant, le café lecture du bled où j'habite - une personne qui sélectionne toujours des textes intéressants, par leur écriture, les thèmes, l'atmosphère, etc. Certains des livres que j'ai adoré lire ces dernières années proviennent de son travail ; qu'elle en soit remerciée.

Certaines n'avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka, décrit le voyage de femmes japonaises qui se sont mariées par correspondance à des immigrés japonais aux États-unis, au début du XXème siècle, de leur voyage à, pour certaines, leur disparition.

Certaines n'avaient jamais vu la mer | Livraddict

C'est un texte très fort, très dur aussi, mais très fort et avec une écriture si particulière, très belle dans l'énumération, une poésie puissante de la juxtaposition des portraits et des situations, qui sait brosser, au travers de ces éléments adossés, un portrait de la situation, à un moment t, de ces femmes immigrées japonaises. C'est souvent un portrait complexe, contrasté, et donc très riche ; et qui, sans pathos, montre la dureté de la situation de ces femmes, à toutes les étapes de leur trajectoire américaine, de leur voyage pour y arriver - où se lit tout le poids des traditions, mais où l'on sent aussi poindre déjà des comportements occidentaux - jusqu'au départ forcé, mystérieux, et à l'oubli. Leur vie entre les deux est une litanie du labeur, les aspects même les plus intimes de leur vie étant, pour elles, un travail. Elles ont, finalement, quelque chose de fantomatique, ces Japonaises, et c'est dramatique ; mais leurs douleurs, elles, ne le sont pas. J'ai adoré ce texte, vraiment adoré. Je ne peux que le conseiller, pour l'écriture et/ou pour découvrir cet épisode historique méconnu.
 
 

jeudi 5 septembre 2024

Le vote, mesure de l'espoir - le choix de la désespérance

 Ce blog est le lieu de l'éternel retour après deux ans d'absence...


Pourquoi on va voter ? Ou, plutôt, pourquoi on continue d'aller voter ?

Michel Barnier vient d'être nommé premier ministre ; un bonhomme qui ne peut que convenir à Micron, tant ses positions droitières sont cohérentes avec la politique mise en place depuis que Jupiter est sur son trône. Et tant pis si, au moment de la négociation du Brexit, même Manon Aubry disait qu'en tant que négociateur il était très compétent. Ou plutôt, c'est encore pire : il aura le savoir-faire pour, peut-être, faire passer des projets. Pire encore, le RN apparaît comme le faiseur de roi dans cette séquence politique. Tout ça parce que le monarque (presque) républicain a dissous l'Assemblée, et après des semaines sans gouvernement.

C'est un choix du passé, une volonté du statu quo, une négation du progressisme et un déni de démocratie. Non le NFP n'avait pas de majorité après l'élection ; mais cette formation est malgré tout arrivée en tête des élections. Dans n'importe quelle autre démocratie, le choix du premier ministre aurait eu lieu dans ses rangs. Las, l'espoir que les législatives puissent apporter un vent nouveau, cet espoir qui nous a fait voter, a été balayé d'un revers de main. Ce geste nous dénie le droit d'espérer - une fois de plus, une fois de trop.

Comment s'étonner, après tant de fois où ce chef de l'état a rompu ses engagements, porté des coups à l'espoir d'un avenir vivable (CCC, grand débat, grand ministère de l'écologie, etc.), que des gens qui respectaient la machinerie démocratique du vote se tournent désormais vers la désobéissance civile ? Entendons-nous, ce n'est pas se mettre hors la loi que d'exercer la désobéissance civile, mais sa mise en action constitue un basculement pour ces gens globalement légalistes.

Et lorsque la répression de la désobéissance civile est celle qu'elle est actuellement, c'est une machine à cristalliser les luttes...Je relaie ci dessous le texte d'un écureuil de la ZAD contre l'A69, Je vois rouge, après que les brutalités policières s'y soient exprimées en toute légalité :








samedi 26 février 2022

Pour l'Ukraine...

Pour la première fois depuis bien bien long (comme dirait Roland), je reprends le clavier sur mon blog pour écrire.

Tout à l'heure, je suis allé avec mon fils dans les rues de Rennes pour protester contre l'invasion de l'Ukraine par l'armée russe, comme on est descendus dans la rue pour Charlie ou qu'on y descend régulièrement pour le climat. Ce qui se passe là-bas, en Ukraine, est horrible, une guerre d'invasion et une tentative d'anéantissement d'une culture qui, quoique fortement influencée par son gros voisin, n'en a pas moins son existence propre.

 Cela ne laisse pas que de m'interroger (oui, je sais, c'est lourdingue, mais j'aime bien cette expression) sur notre mobilisation face à d'autres guerres tout aussi illégitimes mais plus lointaines, géographiquement...

Apparemment, nous étions un millier de personnes pour descendre dans la rue à Rennes aujourd'hui. Un millier....Une goutte d'eau ! J'ai expliqué à mon fils que c'était important de manifester, que plus on était nombreux et mieux c'était ; je lui ai dit ça pour qu'il apprenne à protester, à s'indigner comme disait Hessel, mais en réalité, un millier, qu'est-ce que c'est ? Partout en France, on parle de quelques centaines de personnes, quelques milliers au mieux, à tout péter, on devait être 50 000 au total dans le pays.


Pour quelle raison personne ne descend-il plus dans la rue ? La réponse à cette question, aujourd'hui, est la même qu'hier : parce que les gens qui pensent qu'une démonstration de force démocratique par le nombre est efficace sont de moins en moins nombreux. Les gens qui sont encore persuadés de cela sont des personnes d'un certain âge, voire des personnes âgées ; il y avait quelques jeunes et jeunes parents dans la rue tout à l'heure, mais bien trop peu. Heureusement, par endroits, de petites flammèches étaient présentes !

J'adore cette photo. Le manteau rouge, le pas de l'oie, le poing levé pour protester contre Poutine, je trouve ça génial.

Mais voilà : la plupart de ceux qui se mobilisent encore sont ceux qui ont été animés par des luttes sociales par le passé, en un temps où la parole politique pouvait encore paraître crédible, où le mépris de la classe politique pour l'ensemble de la population n'était pas si sensible. Les personnalités politiques ont quasiment toutes détruit la conscience politique chez les gens. Les préoccupations des Français.e.s ne sont plus tournées vers l'extérieur. Mais que nos dirigeants se rassurent : ils ne sont pas les seuls, loin de là, alors comme le repli sur soi est en train de devenir la norme, ils peuvent dire: "ah ben vous voyez, on avait raison avant tout le monde : préoccupez-vous d'abord de vous et éventuellement, s'il vous reste un peu d'énergie (mais on fera en sorte que ce ne soit pas le cas, rassurez-vous), vous pouvez bien entendu descendre dans la rue, c'est votre droit le plus strict, car nous respectons la démocratie."

Personne, je ne vois personne (à part, peut-être, Poutou, mais je le connais mal), dans le monde politique, qui n'ait écorné la confiance que pouvait accorder le peuple à nos gouvernants, à la démocratie. Du Kärcher aux sans-dents, du bruit et l'odeur au grand débat ou à la convention climat, des diamants par valise diplomatique au virage des années 80...Tous ils en sont comptables, car je ne peux imaginer que les gens ne soient pas horrifiés à l'idée de ce qui se passe en Ukraine.

Comment s'étonner que plus personne, ou presque, ne descende dans la rue ? On n'est plus très nombreux à croire à l'action commune, publique et exprimée, à croire (espérer ?) que le peuple a une voix. Enfin, on y était, pour montrer à l'Ukraine que, quels que soient les atermoiements de nos gouvernants, ils ne sont pas tout à fait seuls, et pour entretenir chez nos gamins l'idée d'une protestation légitime...Avant, peut-être, que la radicalité ne s'impose à eux comme seul moyen efficace de lutte.

Le mot de la fin appartient à Prévert :

Je ne sais pas depuis combien de temps cette affiche était là mais on était nombreux à la prendre en photo !

jeudi 3 décembre 2020

Il est temps d'agir - Carola Rackete

 J'ai fini il y a peu de temps le livre Manière d'être de Baptiste Morizot (Delph, merci !!!), et il y a plein de choses à dire sur ce texte, ce que je vais faire dans peu de temps. Mais je viens de finir Il est temps d'agir et je me sens poussé à écrire sur ce texte par ce qu'il provoque chez moi.


Soyons clairs : Carola Rackete nous mets, nous, Occidentaux, le nez dans la merde, notre merde. Nous avons laissé faire, nous avons regardé entre nos doigts ces gens se noyer, et pire, nous avons empêché le Sea Watch 3 et consorts, émanations de la société civile, de faire ce que les pays européens défaillants refusaient de faire. Les dirigeants européens ont tué les gens qui se sont noyés en Méditerranée depuis qu'ils ont refusé de se mettre d'accord sur un accueil partagé des migrants. Si un accord avait été trouvé, l'Italie aurait pu accueillir les migrants et l'Europe les répartir entre les pays. Mais non. Rien ! Dublin 3 est passé par là, bouclier bien pratique pour les pays derrière lequel ils s'abritent, qui oblige les migrants à demander l'asile au premier pays où ils posent le pied. Aucun accord. Pire, les pays ont refusé que les navires de la société civile abordent dans leurs ports, refusé d'accorder pavillon à ces navires.

Carola Rackete décrit les conditions qui l'ont conduite à accoster de force à Lampedusa : le ferme refus de l'Italie, les atermoiements et arguties des pays européens pour savoir qui recevrait ces migrants, et son devoir de capitaine de garantir l'accès pour ses passagers recueillis en état de grande détresse (ben oui, 60 sur une barcasse sans moteur au milieu de la Méditerranée et, malheureusement, plus d'une fois autour d'une barcasse chavirée donc à deux doigts de se noyer) au premier port sûr. Il n'y a évidemment pas de port sûr en Lybie ou en Tunisie, ne reste que Lampedusa. Arrêtée et assignée à résidence en attente de son jugement, Carola Rackete rencontre une juge attentive, qui l'écoute avec sérieux. Et cette juge lui donne raison ! Victoire morale, victoire politique ; qui malheureusement ne changera pas le sort des migrants en général, mais victoire quand même.


Carola Rackete décrit également son parcours dans ce livre : son adolescence de geek de World of Warcraft, son parcours d'ingénieur maritime / capitaine, son engagement écologique. Elle fait le lien, très clairement, entre notre mode de vie, l'évolution du monde et le réchauffement global, et la realpolitik économiste libérale qui mène à refuser asile aux réfugiés de pays en guerre.  L'inhabilité des terres liées au réchauffement global, qui mènera à des déplacements de réfugiés climatiques. Les conditions de vie de ceux qui viendront après nous.

Je la cite (reproduisant une partie de ses textes, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas) :

"L'avenir tel que nous le souhaitons, nous devons le vivre dès maintenant dans nos mouvements, qui doivent être inclusifs, démocratiques et antiracistes. La non-violence doit être le principe suprême. Cela exige discipline et organisation, mais c'est indispensable. Dès qu'un petit groupe utilise la violence et que le mouvement ne prend pas ses distances ou éclate en deux camps, les chances de réussir s'écroulent - comme dans le mouvement des Gilets jaunes en France."

"Allons donc perturber ces gouvernements dont le plus grand souci est de maintenir la croissance pour ne pas avoir à partager leur richesse ! Allons perturber les entreprises du secteur de l'énergie qui déboisent des forêts restées intactes et éventrent des terrains pour extraire un charbon que de toute manière nous n'avons plus le droit de brûler en raison du réchauffement ! Allons perturber l'industrie et les entreprises qui empêchent la sortie des énergies fossiles par un travail de lobbyisme et des études falsifiées, et qui pour faire des économies délocalisent leurs usines dans d'autres pays où leurs produits sont fabriqués pour des salaires de misère ! Car si nous laissons faire ces gens, nous tolérons que rien ne soit fait - ou pas assez - contre la crise climatique et l'effondrement des écosystèmes. Nous tolérons que les entreprises placent toujours le profit au-dessus du bien-être de la majorité. Et, plus concrètement encore, nous tolérons que des gens meurent noyés en Méditerranée ou soient exposés dans la rue à la violence d'extrême droite.

Soyons des perturbateurs, mais pour les bonnes raisons."

Cela fait tellement écho à ce que je disais en 2016, et ce livre témoigne que, collectivement, l'Europe a continué de sombrer moralement. Je ne comprendrai jamais ses choix politiques, mais Bernard Guetta avait parfaitement résumé mon sentiment à l'époque, et qui l'est encore maintenant.

Mais Carola Rackete nous pose, enfin, la question : maintenant que vous savez tout cela, qu'allez-vous faire ? Allez-vous agir ? ou rester dans votre vie aveugle au reste du monde ?

Tout geste est bon à prendre, que ce soit manger moins ou pas de viande, consommer moins et mieux, plus local, etc. même si bien sûr ce ne sera peut-être pas suffisant. Tout acte a déjà et aura toujours un impact, positif ou négatif, sur le climat et donc potentiellement sur les conditions de vie des gens qui habiteront dans des zones soumises aux aléas climatiques (je renvoie à Squarzoni). Car les actions que nous pourrons mener, planter des arbres, ou manger une entrecôte sudaméricaine par jour (n'oublions pas le MERCOSUR !), auront une incidence, positive ou négative, sur la vie de ceux qui nous suivront.

Nous n'en verrons peut-être pas effets - mais nous est-il possible de dire : "après moi, le déluge ?". Et, si nous étions des millions de colibris, peut-être, au-delà d'avoir la conscience claire de n'avoir pas laissé faire passivement, parviendrons-nous à limiter ce réchauffement global*.

 

* et c'est écrit en ayant conscience des progrès qu'il me reste personnellement à faire dans cette direction.