J'ai fini il y a peu de temps le livre Manière d'être de Baptiste Morizot (Delph, merci !!!), et il y a plein de choses à dire sur ce texte, ce que je vais faire dans peu de temps. Mais je viens de finir Il est temps d'agir et je me sens poussé à écrire sur ce texte par ce qu'il provoque chez moi.
Soyons clairs : Carola Rackete nous mets, nous, Occidentaux, le nez dans la merde, notre merde. Nous avons laissé faire, nous avons regardé entre nos doigts ces gens se noyer, et pire, nous avons empêché le Sea Watch 3 et consorts, émanations de la société civile, de faire ce que les pays européens défaillants refusaient de faire. Les dirigeants européens ont tué les gens qui se sont noyés en Méditerranée depuis qu'ils ont refusé de se mettre d'accord sur un accueil partagé des migrants. Si un accord avait été trouvé, l'Italie aurait pu accueillir les migrants et l'Europe les répartir entre les pays. Mais non. Rien ! Dublin 3 est passé par là, bouclier bien pratique pour les pays derrière lequel ils s'abritent, qui oblige les migrants à demander l'asile au premier pays où ils posent le pied. Aucun accord. Pire, les pays ont refusé que les navires de la société civile abordent dans leurs ports, refusé d'accorder pavillon à ces navires.
Carola Rackete décrit les conditions qui l'ont conduite à accoster de force à Lampedusa : le ferme refus de l'Italie, les atermoiements et arguties des pays européens pour savoir qui recevrait ces migrants, et son devoir de capitaine de garantir l'accès pour ses passagers recueillis en état de grande détresse (ben oui, 60 sur une barcasse sans moteur au milieu de la Méditerranée et, malheureusement, plus d'une fois autour d'une barcasse chavirée donc à deux doigts de se noyer) au premier port sûr. Il n'y a évidemment pas de port sûr en Lybie ou en Tunisie, ne reste que Lampedusa. Arrêtée et assignée à résidence en attente de son jugement, Carola Rackete rencontre une juge attentive, qui l'écoute avec sérieux. Et cette juge lui donne raison ! Victoire morale, victoire politique ; qui malheureusement ne changera pas le sort des migrants en général, mais victoire quand même.
Carola Rackete décrit également son parcours dans ce livre : son adolescence de geek de World of Warcraft, son parcours d'ingénieur maritime / capitaine, son engagement écologique. Elle fait le lien, très clairement, entre notre mode de vie, l'évolution du monde et le réchauffement global, et la realpolitik économiste libérale qui mène à refuser asile aux réfugiés de pays en guerre. L'inhabilité des terres liées au réchauffement global, qui mènera à des déplacements de réfugiés climatiques. Les conditions de vie de ceux qui viendront après nous.
Je la cite (reproduisant une partie de ses textes, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas) :
"L'avenir tel que nous le souhaitons, nous devons le vivre dès maintenant dans nos mouvements, qui doivent être inclusifs, démocratiques et antiracistes. La non-violence doit être le principe suprême. Cela exige discipline et organisation, mais c'est indispensable. Dès qu'un petit groupe utilise la violence et que le mouvement ne prend pas ses distances ou éclate en deux camps, les chances de réussir s'écroulent - comme dans le mouvement des Gilets jaunes en France."
"Allons donc perturber ces gouvernements dont le plus grand souci est de maintenir la croissance pour ne pas avoir à partager leur richesse ! Allons perturber les entreprises du secteur de l'énergie qui déboisent des forêts restées intactes et éventrent des terrains pour extraire un charbon que de toute manière nous n'avons plus le droit de brûler en raison du réchauffement ! Allons perturber l'industrie et les entreprises qui empêchent la sortie des énergies fossiles par un travail de lobbyisme et des études falsifiées, et qui pour faire des économies délocalisent leurs usines dans d'autres pays où leurs produits sont fabriqués pour des salaires de misère ! Car si nous laissons faire ces gens, nous tolérons que rien ne soit fait - ou pas assez - contre la crise climatique et l'effondrement des écosystèmes. Nous tolérons que les entreprises placent toujours le profit au-dessus du bien-être de la majorité. Et, plus concrètement encore, nous tolérons que des gens meurent noyés en Méditerranée ou soient exposés dans la rue à la violence d'extrême droite.
Soyons des perturbateurs, mais pour les bonnes raisons."
Cela fait tellement écho à ce que je disais en 2016, et ce livre témoigne que, collectivement, l'Europe a continué de sombrer moralement. Je ne comprendrai jamais ses choix politiques, mais Bernard Guetta avait parfaitement résumé mon sentiment à l'époque, et qui l'est encore maintenant.
Mais Carola Rackete nous pose, enfin, la question : maintenant que vous savez tout cela, qu'allez-vous faire ? Allez-vous agir ? ou rester dans votre vie aveugle au reste du monde ?
Tout geste est bon à prendre, que ce soit manger moins ou pas de viande,
consommer moins et mieux, plus local, etc. même si bien sûr ce ne sera peut-être
pas suffisant. Tout acte a déjà et aura toujours un impact, positif
ou négatif, sur le climat et donc potentiellement sur les conditions de
vie des gens qui habiteront dans des zones soumises aux aléas
climatiques (je renvoie à Squarzoni). Car les actions que nous pourrons mener, planter des
arbres, ou manger une entrecôte sudaméricaine par jour (n'oublions pas le MERCOSUR !), auront une incidence, positive ou négative, sur la
vie de ceux qui nous suivront.
Nous n'en verrons peut-être pas
effets - mais nous est-il possible de dire : "après moi, le déluge ?". Et, si nous étions des millions de colibris, peut-être, au-delà d'avoir la conscience claire de n'avoir pas laissé faire passivement, parviendrons-nous à limiter ce réchauffement global*.
* et c'est écrit en ayant conscience des progrès qu'il me reste personnellement à faire dans cette direction.