dimanche 26 mai 2019

France brune

Nous sommes au soir des élections européennes, et si ces élections ont historiquement toujours été l'élection la moins attractive pour les électeurs nous sommes plus nombreux qu'aux occurrences précédentes à nous être déplacés (participation la plus élevée enregistrée sur ce scrutin, dans 20 pays de l'UE dont la France).
Dans l'absolu, je devrais dire que c'est une bonne chose ; dans l'absolu, je devrais dire que le score élevé des partis écologistes est porteur d'espoir et d'une forme de prise de conscience collective au vu des enjeux majeurs devant lesquels nous nous trouvons désormais.
Malheureusement, au soir de cette élection, c'est une France brune qui se dessine. Pas du brun de l'humus, de la terre vivante, mais bien du brun de chemises que l'Histoire aurait préféré ne pas voir revenir en première place d'élections démocratiques :

Et de plus, le score des écologistes est bien loin de permettre de faire face aux responsabilités que nous avons envers les générations futures, celles qui viendront juste après nous, mais également celles qui viendront très, très longtemps après que nous n'aurons plus mal aux dents (1). Cela reste néanmoins le seul élément positif que je retiendrai ce soir.
Ce résultat est le reflet de l'expression des citoyens. Ce vote découle de décennies de jeux dangereux menés par les gouvernements successifs, de Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron, dont les politiques soit n'ont jamais été efficace contre le danger du vote protestataire (mais de toute façon, on est un peuple de râleurs), soit lui ont permis par négatif de toujours mieux s'exprimer, la contestation de gauche disparaissant à mesure que des personnalités politiques de gauche accédaient au pouvoir (de Mitterrand à Hollande, en passant par le gouvernement Jospin). Cela a peut-être favorisé l'essor de la contestation de droite, je ne sais pas. La contestation de gauche, en la personne de Mélenchon, a peut-être voulu reprendre des recettes outrées mises en œuvre par le RN-FN ; dans tous les cas, ça n'a pas marché.
Il se trouve qu'aucun gouvernement que j'aie vu (c'est-à-dire globalement à partir des années 1990) n'a su faire vivre une idée européenne. Tous les gens de mon âge (oh l'autre, comment il parle comme un vieux) ont été marqués par le référendum de 2005, et comment l'expression du vote démocratique a été contournée vie le traité de Lisbonne. Forcément, ça fait incliner vers la méfiance, le rejet et la contestation envers l'Europe, en vers la caste gourvernante.

À l'heure qu'il est, la France est le principal pays européen pourvoyeur de députés d'extrême droite (putain, ce qu'elle fait mal au cul à écrire cette phrase) Edit : lendemain matin - la France n'est pas le plus grand pourvoyeur de députés d'extrême droite, finalement, j'ai remis la carte à jour :


Je n'ai pas honte d'être français, même en ce jour brun. La France est un pays où ont émergé des idées humanistes, progressistes, des idées qui sont le fondement de notre culture et de notre système social actuel.
Mais rappelons-nous qu'à la suite de la première guerre mondiale, les Allemands humiliés ont été captés en quelques années par un despote, via un discours nationaliste revanchard propre à fédérer contre un ennemi commun - nous. Ces élections sont, je pense, un avertissement.
Gardons-nous que le FN-RN se pose en seul réceptacle des votes de contestation contre les pouvoirs financiers, gardons-nous qu'il parvienne à imposer la peur de l'autre comme vecteur et à s'imposer comme figure de la contestation contre le gouvernement.
Rappelons-nous de pisser sur la flamme. L'album de Sinsemilia est paru en 98, on ne peut même pas dire qu'on n'était pas prévenus. Les dernières paroles de cette chanson...



(1) - J'étais à une conférence tout à l'heure dans le cadre de la Fête de la Nature,  une conférence portant sur l'influence du changement global sur les poissons. Au-delà des enjeux immédiats (évolution des stocks de poissons, acidification des océans, etc.), ce qui ressortait de cette conférence, c'est que les océans constituent un compartiment à très, très longue inertie. C'est-à-dire que les quantités de CO2 actuellement stockées dans l'ensemble des eaux marines sur le globe pourraient très bien être relarguées dans l'atmosphère dans 500, 1 000 ans. Si on a encore des descendants à cette date-là, ils risquent de nous en vouloir, juste un tout petit peu...

mercredi 22 mai 2019

Le Yemen et les armes, honte de la France

Ça faisait un moment que ça me titillait, parce que je veux bien être pris pour une bille mais pas trop longtemps... Et puis le reportage de Disclose est paru, m'épargnant la nécessité d'écrire que vendre des tonnes d'armes à l'Arabie Saoudite, et se réfugier derrière une absence de preuve que ces armes sont utilisées dans le conflit contre les rebelles houthistes yéménites, c'est même plus de l'autruchage (1), c'est de la mauvaise foi poussée au rang d'art majeur. 
Et, quelques mois après, refaire le coup avec une absence de preuve que ces armes font des victimes civiles, je ne sais même plus comment appeler cela.

 La ministre des armées Florence Parly, ici le 8 avril 2019 aux Invalides, à Paris.
Je ne sais pas ce qu'il salue, le général derrière, mais ça n'a pas l'air de réjouir sa Ministre.
L'enterrement de sa conscience peut-être ? Rappelons qu'en octobre 2018, elle appelait à l'arrêt du conflit.


La France est le 3ème exportateur mondial d'armes et a, on le sait, conclu de très gros contrats de vente d'armes avec l'Arabie Saoudite, pays qui a massivement augmenté ses dépenses d'armement. Depuis assez longtemps maintenant, des critiques sont émises à l'égard de ces ventes d'armes. Ces critiques ne concernent pas uniquement l'hexagone (non non aujourd'hui, pas de majuscules), et malgré tout, seule l'Allemagne prend la décision qui s'impose : un moratoire sur les ventes d'armes à ce pays (une petite parenthèse ici : comme dans le cas de l'accueil des réfugiés issus du conflit syrien, Angela Merkel prend ici, seule en Europe et de plus en plus isolée dans son propre pays, la vraie décision humaniste, celle qui devrait s'imposer à tout décideur politique qui se réclame de ce type de valeurs. Cette dame, je ne suis pas un expert de politique, ni allemande, ni d'ailleurs, sa politique énergétique est incompatible avec quelque chose de durable, mais pour cet humanisme, avec lequel elle sauve une partie de l'honneur de l'Europe, elle a gagné mon respect).

Angela Merkel à Berlin le 21 octobre. 

La France, pays des droits humains, pays des Lumières, etc., 3ème exportateur mondial d'armes. Pourquoi ces mots, placés dans la même phrase, me posent-ils un problème ? En réalité pourquoi, placés dans des phrases différentes, ne nous posent-ils pas plus problème ? Sommes-nous si insidieusement nourris de données économiques négatives / stressantes que nous accueillons tout contrat comme une rentrée d'argent bienvenue dans les caisses de l'État ? Sommes-nous si matraqués de données que nous soyons devenus incapables d'indignation ? Je parle, bien sûr, en m'incluant dans le lot.






(1) - l'autruchage, fouir le sable de son grouin pour se couvrir les yeux, ce qui a pour corollaire d'exposer une certaine partie de son corps à un éventuel coup de pied

samedi 18 mai 2019

Christian Prigent : le monde est marrant

J'ai lu récemment ce petit livre, emprunté à ma bibliothèque municipale :

Je ne résiste pas à l'envie de reproduire ici le texte du quatrième de couv', histoire de poser le décor :
"Il ne s'agit pas d'un essai de plus (savamment pensif, forcément critique) sur la télévision. Plutôt de la confession d'un qui, presque chaque soir (aux heures les pires, celles dites "de grande écoute"), se vautre devant la boîte à vider les cerveaux. Allumer le récepteur, c'est ouvrir une encyclopédie des idées reçues, des idolâtries et des violences du siècle. Rien de plus navrant que la vie et le monde vus à la télé. Mais, à ce point de bêtise et de crudité, rien non plus de plus marrant. Suffit de recopier, en à peine accéléré, pour tout faire tourner en farce : JT saucissonnés, séries en solde, pubs bouffonnes, cérémonies météorologiques, sitcoms ménagers, feuilletons tiroir-caisse, docu-fictions en peau de lapin pour les presque nuls. Et hop, zapping, moteur, c'est guignol, c'est carnaval !"
Je ne connaissais pas du tout cet auteur costarmoricain, c'est donc pour moi une découverte que ce texte.
L'écriture, d'abord : il y a une volonté d'embarquer le lecteur dans le cerveau d'un téléspectateur en action de zappage. Aussi, les pensées s'enchaînent à grande vitesse, comme des flash, l'auteur visant à faire sauter au lecteur les étapes mentales entre le visionnage et le compte-rendu. L'écriture s'affranchit souvent de toute structure conventionnelle, et prend des raccourcis pour accélérer des associations d'idées qu'on imagine influencées par la succession des programmes visionnés : absence d'articles, ponctuation fluctuante permettant d'avoir des phrases occupant jusqu'à 15 lignes (un peu plus d'une centaine de mots au pif, les lignes sont courtes et j'ai eu la flemme de compter) et néanmoins parfaitement dynamiques.
Ce que je trouve également intéressant, c'est le positionnement que prend le narrateur, assumant parfaitement de se zombifier devant le petit écran en regardant des daubes (bon, le bouquin date de 2008 alors il y a des références datées, la preuve : même moi, je suis), et retranscrivant ce que ça lui inspire. Je ne suis pas forcément objectif, je n'ai pas la télé (même par internet) parce que peu de programmes m'intéressent (à part Cash Investigations), mais aussi - et c'est important - parce que je me sens parfaitement capable de tomber dans le piège de la lucarne et de glander devant des conneries.
Alors, je me dis qu'un qui a le courage de le faire, de l'écrire, et donc de m'épargner le risque de finir par suivre TPMP, ben...je suis content de n'être pas passé à côté.


 

mercredi 8 mai 2019

L'humain peut-il être le moteur de sa propre évolution ?

J'étais chez un médecin il y a peu, et la discussion a évolué vers le transhumanisme, et pour finir, j'ai posé la question : "L'humain peut-il être le moteur de sa propre évolution ?". J'en ai discuté depuis avec d'autres personnes, des amis.
L'évolution, telle que je la perçois, est le fait d'évènements où l'individu (ou le groupe d'individus, ou le génome, selon ce qu'on regardera) n'agira pas consciemment sur l'évolution elle-même dans le processus. Le processus évolutif agit sur une génération, ou plusieurs génération, et est est invisible de ceux dont elle est l'objet.

Le transhumanisme, tel qu'il est défini par Wikipédia, est "un mouvement culturel et intellectuel international, prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer la condition humaine  notamment par l'augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains".
J'ai lu récemment un article sur le Huffington Post parlant de Neil Harbisson, qui m'a fait   m'interroger sur l'action que peut avoir l'être humain sur sa propre évolution, ce qui a fait écho à ma discussion avec mon médecin.
Neil Harbisson 

Je vois une différence notable entre le fait de pallier un manque fonctionnel chez un individu (action à but thérapeutique, que je comprends au titre de la solidarité envers son prochain et de l'égalité des chances), et le fait de chercher à améliorer les capacités de l'être humain en tant qu'espèce. Ce n'est pas la même chose que de vouloir permettre à quelqu'un de surmonter un  handicap, qui peut le gêner dans sa vie quotidienne ou l'empêcher d'accéder à certaines choses (emploi, activité, etc.) , et chercher l'amélioration des capacités humaines à l'aide d'éléments non vivants adjoints au corps biologique.
Mais alors, qui de l'ensemble des outils que nous utilisons, de la binette à l'avion, en passant par le lave-linge ou les médicaments ? N'augmentent-ils donc pas nos capacités ? N'influent-ils pas sur l'évolution de l'humanité en tant qu'espèce ?
Bien sûr ! Nous sommes des êtres pensants, capables depuis les origines de l'humanité de concevoir des dispositifs palliant des désavantages évolutifs (peu de défense physique sans arme, vitesse de course limitée, pas de cuir épais, etc.).
Cela a probablement été déterminant dans notre évolution, nous permettant d'accéder au statut d'espèce sentiente, par le biais d'une assurance raisonnable de survie (alimentation, sécurité physique, etc.). Nous avons donc conçu des outils et des démarches intellectuelles ; les autres espèces, plus préoccupées de survie immédiate, ont peu de temps et d'énergie à consacrer pour en créer. Il existe de nombreux exemples, d'utilisation d'outils par des animaux, dans plusieurs groupes (à ma connaissance : insectes, oiseaux, mammifères, il y en a sans doute d'autres), mais cela reste des comportements marginaux, , ou, pour certains singes, de technologie limitée, bien que potentiellement anciens (et donc, transmis) :

Alors quelle différence entre les outils (au sens large) et les dispositifsd permettan d'accroître les capacités d'un organisme humain ?
L'ensemble des outils que nous utilisons sont des outils externes, ne s'intégrant pas à notre corps,et ne s'intégrant pas continuellement à son fonctionnement, à l'exception bien sûr des prothèses que nous pouvons utiliser pour pallier un problème corporel et des médicaments, qui ont tous deux pour but de restaurer chez un individu malade / handicapé des capacités identiques à celles de ses semblables.

Il me semble que l'augmentation des capacités de notre corps par les moyens liés à la technologie fait franchir un palier, celui de l'intégrité corporelle : il me paraît difficile de permettre le choix d'utiliser, ou non, un outil intégré à notre corps, sauf à implanter un "interrupteur", (à défaut d'un autre mot), nécessairement contrôlé par le cerveau, et donc à lui connecté. Et l'intégration de programmes / algorithmes à nos processus nerveux ou à notre réflexion me pose un problème autrement plus grand que celui d'implanter un outil strictement physique, de par l'altération possible des processus mentaux qui s'ensuivrait.
On choisit quand on utilise tel ou tel outil. Aussi addictif soit-il, un smartphone reste un outil externe. Après, il n'est pas exclu qu'il constitue le premier pas vers le transhumanisme.

Le transhumanisme me pose un problème : perso, quand je regarde cette page et cet article, moi, ça me fout les glandes. Ça me fait peur, parce que tout dans ce site vise à inspirer la crainte de ne pas suivre le mouvement du transhumanisme, tout en faisant miroiter des miracles (cette bonne vieille technique de la carotte et du bâton). Ces pages visent à engendrer un "rêve de puissance", tout en créant la paranoïa de "ne pas en être".
Je vous invite à lire la définition de Nick Bostrom et la profession de foi qui suit : moi, quand on me parle de modifier la personnalité, ça me glace, et je ne parle même pas de la possibilité de s'enregistrer pour migrer vers un monde digital. Je conseille aussi de regarder la référence au principe de l'anthropie qui est utilisée dans cette profession de foi auquel ce texte se réfère, histoire de (ça vaut son pesant de cacahuètes, surtout à partir du deuxième paragraphe  après la question sur la localisation du point d'impact de la météorite qui a coûté la domination de la planète aux dinosaures). Malheureusement, quand je tape le terme de transhumanisme sur un moteur de recherche, ce site arrive en seconde position dans la liste des sites proposés, juste après Wikipédia. Heureusement,  le site histophilo arrive ensuite pour présenter une vision plus historique des choses. 
Il est plus que probable que bien des gens ne soient pas d'accord avec moi. Rechercher l'amélioration de l'humain, n'est-ce pas un progrès ? N'est-il pas réactionnaire de refuser ce progrès possible, alors que tant d'avant-gardistes ont été considérés dans l'histoire comme fous, voire dangereux ?
Mais je n'arrive pas à me détacher de ce sentiment que l'intégrité d'un corps est une des garanties du bon fonctionnement de son esprit, ce bon vieux Mens sana in corpore sano.

Peut-être, dans un avenir pas si lointain, assisterons-nous à une confrontation d'idées entre personnes "augmentées" et personnes "non augmentées". Peut-être également, comme dans tant d'autres domaines, cette modification sera-t-elle un facteur de distinction de niveau de vie, les riches pouvant arborer leurs "augmentations", alors que le désir de la plèbe attisé par des pubs rendra le peuple dépe,ndant à l'idée d'un rêve qu'ils n'auront aucune chance d'atteindre. Nous nours rapprocherions alors de certaines visions considérées aujourd'hui comme relevant de la fiction, du Meilleur des Mondes à Bienvenue à Gattaca.
D'autres visions de fiction parlent de contrôle de gens ou de leur personnalité par des machines, ou par d'autres humains. Ces visions s'accompliront-elles un jour. Si ce jour devait survenir, je ne souhaite à personne d'être en mesure d'en témoigner.