Lorsque je me suis réveillé d'une assez courte nuit de période de fêtes, le deux janvier 2010, j'ai écouté les infos, par habitude. Pendant que la plupart des gens, chez nous, faisaient la fête, Lhasa de Sela mourait d'un cancer du sein.
Brouf, quel début de billet, bonne ambiance...Mais c'est à peu près ce que j'avais ressenti à l'époque, être brusquement extirpé d'une réalité plaisante, celle d'un monde de bonne chère, breuvages sympas, bonne ambiance qui se poursuit tard dans la nuit, où l'on ne meurt pas, par exemple.
Malheureusement, cette bulle dans laquelle on se réfugie périodiquement, par nécessité sans doute puisqu'il est normal de se permettre des moments d'évasion, reste soumise à la menace de ce cruel aiguillon d'une réalité qui peut la faire exploser.
La mort précoce de cette chanteuse et poétesse ne lui a malheureusement permis d'exprimer son talent que dans trois albums (et une bonne quantité de duos et d'explorations, quand même). Au même titre que Björk et PJ Harvey, que j'ai évoquées
dans un billet précédent, sa singularité en a fait un artiste à part dans le paysage musical mondial.
A ce titre, elle apparaissait comme un axe de calme dans le monde frénétique dans lequel nous vivons. Ses chansons étaient portées par sa voix si particulière, riche, pleine, chaude, dans laquelle semblait parfois caché un rire contenu (celui de l'allégresse d'être là et de faire ce qu'elle faisait).
Dans son premier album, la Llorona les chansons, riches, dessinaient un univers unique, étrange, un point saillant dans le paysage musical que j'avais à l'époque - ça n'a pas changé, d'ailleurs. Sans doute y a-t-il quelque chose à voir avec le fait qu'elle chante en espagnol, ce qui était atypique à l'époque. Mais la profondeur de certains titres (El pajaro, El desierto), le jeu des rythmes des chansons (Desdeñosa, la Celestina), la tonalité de l'album et sa diversité en font un disque que je considère toujours comme unique dans sa richesse.

Le second album (polyglotte) The Living Road, explorait une poésie du cheminement et de la géographie. Dans les trois premières pistes, notamment, il y a l'idée d'une marche en cours : le rythme de Con toda palabra
m'évoque la cadence de pas péniblement égrenés sur une terre stérile, la Marée haute voit une progression plus aisée, portée par des vagues. Et pour arriver à quoi ? Une désillusion, peut-être, comme semble le dire La Confession. La trompette d'Ibrahim Maalouf, lumineuse, gaie même par moments, profonde, toujours, tranche sur l'ensemble de l'album et apporte un contraste qui contribue à la vie de l'ensemble. Quel monde Lhasa explorait-elle ici ?
Le troisième album, Lhasa, parle de disparition et de perte, sa tonalité en est
sombre, un peu amère et en colère comme dans l'ironique et désabusé
Fool's gold. Mais il est également serein, cristallin. Lhasa l'a écrit alors qu'elle se battait déjà avec le cancer, mais c'est un album où elle parlait d'un récent passé malheureux, mais aussi d'avenir.
Amie d'Arthur H, elle a chanté un très beau duo avec lui,
On rit encore ; Arthur H chante de temps en temps
La marée haute, en hommage et en souvenir.
Pour ceux qui veulent poursuivre la découverte, des émissions de radio sur et avec Lhasa sont disponibles
ici.
Un de mes plus grands regrets est de n'avoir pas pu la voir en concert, j'ai manqué le dernier concert qu'elle avait donné à Rennes. Mais aussi tardif que soit cet hommage, j'espère continuer à faire vivre cette artiste, un peu, en la faisant éventuellement découvrir aux quelques lecteurs qui pourraient passer par ici. Si vous ne connaissez pas, écoutez Lhasa ; et si quelques-uns d'entre vous aiment, alors j'aurais réussi à faire vivre encore un peu de cette personne, pour le temps de votre écoute.