Brouf, quel début de billet, bonne ambiance...Mais c'est à peu près ce que j'avais ressenti à l'époque, être brusquement extirpé d'une réalité plaisante, celle d'un monde de bonne chère, breuvages sympas, bonne ambiance qui se poursuit tard dans la nuit, où l'on ne meurt pas, par exemple.
Malheureusement, cette bulle dans laquelle on se réfugie périodiquement, par nécessité sans doute puisqu'il est normal de se permettre des moments d'évasion, reste soumise à la menace de ce cruel aiguillon d'une réalité qui peut la faire exploser.
La mort précoce de cette chanteuse et poétesse ne lui a malheureusement permis d'exprimer son talent que dans trois albums (et une bonne quantité de duos et d'explorations, quand même). Au même titre que Björk et PJ Harvey, que j'ai évoquées dans un billet précédent, sa singularité en a fait un artiste à part dans le paysage musical mondial.
C'était une chanteuse qui n'a jamais oublié la valeur du silence. Dans certaines de ses chansons, elle jouait du silence, un peu comme si elle dansait avec lui avec sa voix. C'était également quelqu'un qui faisait l'éloge de la lenteur, sans oublier cependant l'énergie de chansons à rythmes un poil plus denses.
A ce titre, elle apparaissait comme un axe de calme dans le monde frénétique dans lequel nous vivons. Ses chansons étaient portées par sa voix si particulière, riche, pleine, chaude, dans laquelle semblait parfois caché un rire contenu (celui de l'allégresse d'être là et de faire ce qu'elle faisait).
Dans son premier album, la Llorona les chansons, riches, dessinaient un univers unique, étrange, un point saillant dans le paysage musical que j'avais à l'époque - ça n'a pas changé, d'ailleurs. Sans doute y a-t-il quelque chose à voir avec le fait qu'elle chante en espagnol, ce qui était atypique à l'époque. Mais la profondeur de certains titres (El pajaro, El desierto), le jeu des rythmes des chansons (Desdeñosa, la Celestina), la tonalité de l'album et sa diversité en font un disque que je considère toujours comme unique dans sa richesse.
Le second album (polyglotte) The Living Road, explorait une poésie du cheminement et de la géographie. Dans les trois premières pistes, notamment, il y a l'idée d'une marche en cours : le rythme de Con toda palabra m'évoque la cadence de pas péniblement égrenés sur une terre stérile, la Marée haute voit une progression plus aisée, portée par des vagues. Et pour arriver à quoi ? Une désillusion, peut-être, comme semble le dire La Confession. La trompette d'Ibrahim Maalouf, lumineuse, gaie même par moments, profonde, toujours, tranche sur l'ensemble de l'album et apporte un contraste qui contribue à la vie de l'ensemble. Quel monde Lhasa explorait-elle ici ?
Amie d'Arthur H, elle a chanté un très beau duo avec lui, On rit encore ; Arthur H chante de temps en temps La marée haute, en hommage et en souvenir.
Pour ceux qui veulent poursuivre la découverte, des émissions de radio sur et avec Lhasa sont disponibles ici.
Un de mes plus grands regrets est de n'avoir pas pu la voir en concert, j'ai manqué le dernier concert qu'elle avait donné à Rennes. Mais aussi tardif que soit cet hommage, j'espère continuer à faire vivre cette artiste, un peu, en la faisant éventuellement découvrir aux quelques lecteurs qui pourraient passer par ici. Si vous ne connaissez pas, écoutez Lhasa ; et si quelques-uns d'entre vous aiment, alors j'aurais réussi à faire vivre encore un peu de cette personne, pour le temps de votre écoute.
Moi c'est Gradlon qui m'a fait découvrir Lhasa de Sela :) J'avais immédiatement offert la Llorona à mon papa qui avait beaucoup aimé.
RépondreSupprimerPour ma part, je crois que je le préfère à The living road qui part un peu plus dans tous les sens. Et je ne crois pas avoir encore écouté le dernier.
En tout cas c'est un vachement beau billet !
Oui, je sais que Gradlon aime beaucoup la Llorona ! J'ai oublié de le dire (mais ce billet est déjà long !), mais ce titre vient d'une légende mexicaine : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Llorona
RépondreSupprimerJ'avais eu le même sentiment que toi à la première écoute de The Living Road : il est moins accessible, moins "brillant" et donc moins attrayant peut-être. Il a un côté plus uniforme, aussi. Pendant très longtemps, je ne l'ai pas réécouté. Mais en fait, il est superbe, mais autrement. C'est à la fois le plus sombre et le plus éthéré de ses disques, je trouve.
Je te conseille le troisième. En plus de ce que j'ai dit, il contient des chansons pleines d'une sérénité qui, étant donné les circonstances de son élaboration, lui donne une sacrée profondeur.
Merci de me dire que c'est un beau billet ! Je lui ai porté une attention très particulière, à celui-là.