jeudi 30 avril 2015

Comès ou la folie de l'enfance

Des fois, les titres, ça vient comme ça, sans explication, presque comme par effraction. Je ne sais pas pourquoi j'évoque la folie de l'enfance dans ce titre, mais ce n'est n'est pas un mauvais titre car, à certains égards, plusieurs de ses héros ressemblent à des enfants, vivant souvent dans leur monde. 

La première chose qui frappe, lorsqu'on ouvre un des derniers albums de Comès, c'est la personnalité graphique qui se dégage de ses planches. Dessinées en noir et blanc, elles témoignent d'un sens aigu des perspectives, des volumes et des ombres. Elles dessinent deux groupes de scènes : des scènes "concrètes", au trait souvent fourni, et des scènes "spirituelles" (dans lesquelles j'englobe les scènes de nature), souvent marquées par de grands aplats.
 
La majorité de ces scènes étant nocturnes, il fait la part belle à la nuit. Il y a de magnifiques scènes de nuit enneigée sous un ciel d'encre.
 
 Comme chez d'autres (Pratt en est, peut-être, l'exemple le plus flagrant), la simplicité apprente du trait masque une connaissance profonde de l'anatomie et des attitudes.
Ce trait clair, fait de courbes et d'angles aigus, est quasiment limité aux humains. Loin d'en faire des canons de beauté, Comès force au contraire le trait des caractères physiques, quasiment jusqu'à faire de ses personnages des stéréotypes de laideur - je reviendrai plus tard sur les aspects manichéens de ses BD. Le contraste entre le trait des figures humaines (ou humanoïdes) est particulièrement visible lorsqu'un personnage est en contact avec un animal: Iris sur le chat Merlin, la Belette et sa chevêche. Le réalisme des figures animales leur confère une réalité dont, peut-être, les humains sont dépourvus, qu'ils soient éveillés ou malfaisants.

Car il y a peu de ponts entre les deux, chez Comès ; il y a peu de personnages neutres et pas mal de manichéisme. C'est probablement ce que je lui reproche le plus : tous les "méchants", tenants d'un obscurantisme d'arrière-garde, sont laids.
Mais il faut aussi remettre Comès dans son contexte : sa vision du monde rural résulte à la fois de la fracture apportée par les guerres mondiales (un thème qu'on retrouve  fréquemment chez lui), et des philosophies émanant de mai 68, avec son retour à la terre idéalisé(e) (mettez un "e" ou pas, au choix), Gaïa.
L'agriculteur est donc arriéré et cloue des chouettes à sa grange, ou est un homme brutal, profondément égoïste et enclin à profiter de la faiblesse de l'autre, le prêtre est un fou de 
Dieu, le tenant de la technologie un arriviste sans cœur, etc. Par contraste, ceux qui se rapprochent de la nature-mère sont créateurs, beaux, magiques, ou tout ça à la fois.
Il y a tout de même quelques personnages plus nuancés : le clown, ami de Silence, est un violent au grand coeur. Il incarne un autre thème cher à Comès : les parias, les infirmes, les différents sont ceux qu'il met en avant. Le personnage de Silence est l'un des plus beaux qui soient : ce jeune homme autiste et pas méchant pour un sou, exploité par Abel Mauvy, et d'une certaine manière aussi par la sorcière.
 
Il se trouve entre deux mondes : la réalité, brutale, et la magie, qui n'est pas moins violente - la différence étant que la violence de la magie n'est pas gratuite, et que la sorcière finit par abandonner sa vengeance, alors qu'Abel reste cruel et brutal jusqu'au bout. Les lâches non plus n'ont pas la part belle chez Comès, et ils personnifient une forme de collaboration, complices de la destruction tout à la fois des gitans et des artistes - même si les torts de ceux-ci sont, peut-être, réels.

Ainsi, Comès est un homme de contraste : dans l'écrin de charbon de ces stéréotypes incarnant la méchanceté, la lâcheté, la médiocrité humaine, il place quelques perles : Silence, Salamandre, la Belette, etc.. Le caractère "inadmirable" des "mauvais" met en avant la beauté de ses héros, fussent-ils estropiés, handicapés, ou autre.

J'ai particulièrement aimé Silence, La Belette, Iris, La maison où rêvent les arbres, Eva, L'arbre-coeur, Dix de Der (drôle !). L'ombre du corbeau est intéressant quoique plus prévisible, Ergün l'Errant a moins bien vieilli !




dimanche 26 avril 2015

Des abeilles

Lorsqu'on vous parle d'abeilles, je suis à peu près convaincu que vous imaginez une ruche, l'activité bourdonnante d'ouvrières, une reine, du miel.
Vous n'avez pas totalement tort, sachez-le ! Mais l'abeille mellifère n'est qu'une des nombreuses (plusieurs centaines, en fait) espèces d'abeilles qui existe en France. Voici un tout petit tour d'horizon de la diversité des abeilles, et puis aussi un point sur le rôle qu'elles jouent.

Diversité des abeilles

Alors, pour commencer, dans les photos ci-dessous, essayez de trouver ce qui n'est pas une abeille - je vous aide (ou pas ! ;-)), seul un de ces insectes n'appartient pas à la famille des abeilles :






Désolé pour la mauvaise qualité de certaines de ces photos, ça bouge ces trucs-là.

Bon, la réponse : la seule à n'être pas une abeille ici est la petite métallisée bleue et rouge sur la ligne centrale - pour info, c'est une Chrysididae, qui reste une cousine très proche des abeilles.
Sur la même ligne à gauche, il s'agit bien d'une abeille, probablement du genre Nomada (les abeilles-coucou), qui imite une guêpe (je vous renvoie à cet article pour les notions de couleurs aposématiques et de mimétisme). C'est aussi probablement le cas pour la petite noire et rouge juste en-dessous.
Sur la première ligne, à gauche c'est l'andrène cendrée, une abeille commune chez nous, et à sa droite c'est une osmie. Enfin, la sixième est également une andrène.
Vous aurez peut-être remarqué les "probablement". Les plus pointus d'entre vous auront vu également que je n'adjective pas forcément les noms que je donne : c'est parce que je ne peux pas vraiment donner l'espèce de ces animaux. Pour les identifier, il faut bien souvent les capturer et les observer sous binoculaire, ce que je fais parfois, mais assez peu (je n'aime pas tuer des bestioles). Certaines espèces sont faciles à identifier : la noire et blanche est l'andrène cendrée, parce qu'il n'y en a pas qui lui ressemble vraiment, cette photo étant assez nette pour détailler la nervation de l'aile.
Ces quelques photos ne montrent bien sûr qu'une faible partie de la diversité de ce groupe d'insectes, très riche - je n'ai pas mis de bourdons, mais ils appartiennent au même ensemble d'hyménoptères.

Quelques mots sur les mœurs des abeilles.

On peut différencier deux grands groupes : les abeilles sociales, c'est-à-dire l'abeille mellifère et les bourdons ; et les abeilles solitaires : tout le reste ! Contrairement à l'image qu'on se fait, la majorité des abeilles sont solitaires, c'est-à-dire qu'après fécondation par un mâle, la femelle pond dans un nid qu'elle se choisit ou se creuse un ou des oeufs (en gérant ses pontes pour placer les mâles proches de la sortie). Au printemps suivant (dès mars), les premiers mâles émergent et attendent la sortie des femelles pour les féconder, et ainsi de suite !

Les nids sont variés : il peut s'agir de cavités existantes, artificielles ou naturelles, comme une tige creuse (un bout de bambou), ou à moelle (comme du sureau), mais une partie importante des abeilles creusent des trous dans les sols secs et meubles (chemins, talus écorchés, etc.). Certaines pondent dans des trous de poteaux en béton, ou dans les ouvertures des fenêtres (les osmies, notamment : noires avec le cul rouge).
Une petite andrène explorant un trou dans un poteau de béton
Il faut noter aussi que de nombreuses abeilles, si elles pollinisent de nombreuses fleurs pour se nourrir en récoltant le nectar, ne récoltent le pollen que d'une ou d'un groupe d'espèces de fleurs pour nourrir leurs larves dans le nid. De ce pollen, elles font un pain sur lequel elles pondent leur oeuf, la larve ayant donc la nourriture nécessaire à son développement à portée de mandibule.

Pourquoi favoriser les abeilles ?

En-dehors de la production de miel, une étude a estimé qu'environ 80% de la pollinisation des plantes à fleurs est assurée par des abeilles. Cela concerne notamment tous les fruits et légumes qu'on mange, mais également tous les oléagineux (colza) / protéagineux (luzerne, fève, lupin, etc.) qu'on donne à manger au bétail. Si vous avez suivi le lien vous le savez, mais si vous êtes flemmard (pourquoi pas, vu la longueur de ce billet), cette étude ne synthétise pas les élucubrations d'écolos chevelus, mais a été menée par l'INRA en 2013. Merci d'y penser lorsque vous savourerez votre prochaine fraise...
Les abeilles présentent donc un intérêt pour nous autres, humains, si ce n'est uniquement pour la nature.
Malheureusement, et malgré le nombre de données peu élevé, leur déclin est sensible depuis des années, et les causes sont bien identifiées :
- les pesticides sont bien sûr une cause évidente, et de nouvelles pierres sont régulièrement apportées à ce merdique édifice de connaissance ;
- il est également probable que la dégradation des milieux participe au déclin des abeilles : si une abeille ne peut nourrir ses larves qu'avec le pollen d'une espèce de fleur, et que celle-ci disparaît du coin, alors l'abeille disparaît aussi. Or, on sait que détruire des haies, transformer des prairies (surtout des prairies de fauche) ou des landes en cultures, etc. diminue d'autant la diversité floristique.

Comment favoriser les abeilles ?

Les connaissances sur le choix des sites de pontes des abeilles ont été mises à profit par un grand nombre de personnes pour créer des hôtels à insectes, comme par exemple ici. Cela permet de créer des refuges où le développement de ces espèces est favorisé. C'est une bonne façon, aisée à réaliser (on peut très bien faire des hôtels de ce type avec des boîtes de conserve et des tiges de bambou), d'aider les abeilles.
 Merci à Céline pour la photo : on voit bien l’œuf posé sur du pollen,
lui-même posé sur un pain de nectar / pollen
Autant que possible, et dans la mesure où on a un jardin, il est également bon de conserver des parties non tondues durant l'été (tondues en août-septembre), fleuries (c'est mieux d'essayer de conserver des plantes locales : encore une fois, certaines abeilles ne se développent qu'avec le pollen de certaines fleurs), pour permettre aux abeilles de butiner. L'idéal est également d'avoir des arbustes, des arbres fruitiers, etc. Comme pour tous les groupes d'animaux, l'hétérogénéité d'un lieu est la condition sine qua non de la diversité !

jeudi 23 avril 2015

Penny dreadful (Attention spoiler)

L'un de mes trois super frangins m'avait branché il y a quelques mois sur Penny dreadful, "une série qu'elle est bien", comme y dit. Juste avant la diffusion de la deuxième saison, ça me paraissait le bon moment pour en parler.


Dans la première saison, malgré quelques personnages (Ethan Chandler...) et actions un peu trop évidentes, et deux-trois incohérences (mais quelle série / film n'en contient pas ?), il faut bien reconnaître que, effectivement, c'est bon. Très bon, même.
Au-delà de l'interrogation sur le monstre dans l'homme, cette galerie de portraits de l'imaginaire victorien est très réussie, pour plusieurs raisons :
  • à l'image d'une Ligue des gentlemen extraordinaire (pas les films, hein, la BD), on réunit ici un panel diversifié de la littérature romantique (1) / gothique de l'époque : Dorian Gray, Mina Harker, Frankenstein, etc. C'est pas une idée nouvelle, mais pour celui qui a dévoré une grande partie de cette littérature, c'est forcément attractif, ça marche donc très bien sur moi ;
  • l'interprétation de la plupart des acteurs principaux est excellente. Timothy Dalton (dont je ne peux pas dire qu'il m'ait marqué en James Bond - ni après, d'ailleurs) est très bon, Reeve Carney excellent dans son rôle de dandy drogué au plaisir, même Josh Hartnett, dans les limites de son personnage un peu étriqué, est bon. Quant à Eva Green, je la trouve simplement géniale dans son rôle schizophrène, au charme inquiétant, teinté de dérision, et à la terrible folie. C'est sa présence qui donne toute l'ambiance à la série.
Pile :

Et face :
Elle est dans ce rôle bien meilleure qu'elle ne l'est dans Dark Shadows, le seul Burton que j'aie vu que j'ai trouvé mauvais.
J'ajoute un mot pour évoquer le directeur du théâtre (joué par Martin Phillips), ivrogne superbe et acteur possédé par sa vocation, qui aurait parfaitement sa place dans la troupe du Baron de Sigognac (2).
  •  Malgré quelques p'tits soucis par-ci par-là, l'ambiance, l'action et le développement des personnages sont suffisamment efficaces pour garder le spectateur accroché.
Je conseille fortement cette série pour les lecteurs de Dracula, Frankenstein, Les Hauts de Hurlevent, le portrait de Dorian Gray, les textes de Poe, etc. parce que les références à cette littérature sont à la fois évidentes, fines et bien mises en scène.


(1) Au sens du courant littéraire, pas au sens guimauve hollywoodienne que ce mot a pris avant d'être transformé en "glamour", autre mot dont le sens premier a été guimauvisé.
(2) Lire le capitaine Fracasse de Théophile Gauthier.

lundi 13 avril 2015

Mon poulailler, suite et fin

Allez, vu que je suis assez fier d'avoir pu terminer cet édifice à l'architecture aussi audacieuse que sa conception est révolutionnaire, voici quelques photos :

 Le parcours, enclos directement accessible à partir du poulailler, pour quand on n'est pas là une grande partie de la journée...A l'épreuve des chats, fouines, etc.


 A droite, la trappe du pondoir pour aller chercher les oeufs


 Les pondoirs (amovibles : caisses de vin transformées) et le perchoir


  Une vue d'ensemble

 Bon ben...'y a plus qu'à !

vendredi 3 avril 2015

Ursula le Guin

Dans la vie d'un lecteur, il y a des textes, ou des auteurs, qui surgissent, et qui marquent si durablement sa vision de l'écrit qu'ils en deviennent partie intégrante de son essence de lecteur - les anglo-saxons ont un terme pas vraiment traduisible en français :"eye opener", littéralement "ce qui ouvre les yeux", et qui donc fait se rendre compte de quelque chose.

Waaaah !

J'ai rencontré quelques-uns de ces textes / auteurs au cours de ma - encore courte - carrière de lecteur. Ceux qui me connaissent savent que le Seigneur des Anneaux fut pour moi une révélation, mais d'autres écrits ou écrivains m'ont tout autant marqué : Siddhartha de Hermann Hesse (et aussi le Loup des Steppes, je suis en train de lire le Jeu des perles de verre, je parlerai de cet auteur un autre jour), Terry Pratchett, certains Bordage, Damasio, le cycle de Dune, Fahrenheit 451..

 Je ne résiste pas au plaisir de remettre un hommage à Pratchett...

Parmi cet incomplet panthéon de mes lectures se trouve, en bonne place, Ursula Le Guin. En fait, elle se trouve même au centre de ce panthéon avec deux-trois autres : tous les livres de ce panthéon ont changé durablement ma manière de lire, mais Terremer, ce fut comme un vin capiteux et pourtant si subtil qui me montait à la tête. Impossible d'en décrocher et de l'oublier.


L'écriture d'Ursula le Guin est incomparablement fluide, mais également d'une grande richesse. Il y a une sorte de pédagogie de la langue, certainement pas explicite, qui permet de faire passer des concepts complexes avec une grande facilité. Et c'est nécessaire, car la richesse humaine de ces livres est un trésor qui ne serait pas apparu si l'auteur n'était si talentueuse.

Ici, la magie est puissante, mais ne prend jamais le pas sur l'humain, parce que ceux qui l'enseignent éloignent les apprenants qui n'ont pas les qualités humaines pour les manier. Par endroits, elle est en retrait - ne cherchez pas de boules de feu, cônes de glace et consorts ! C'est beaucoup plus subtil.

Il s'agit de livres sur la magie et sur l'humain. La magie dans l'humain, l'humain dans la magie.
L'humain dans le maniement du pouvoir, mais également dans le fait de ne pas l'exercer, ne pas même le faire sentir parce qu'il fausse les rapports vrais ; dans la perte du pouvoir et le retour à l'humain ; dans l'échec et la réussite.

Je ne connais pas tous ses autres écrits (lacune en cours de comblement !), mais je ne saurais trop recommander cette lecture à tous !

mercredi 1 avril 2015

Pépins...

Dans ma grande fatuité, j'ai concouru au prix Pépin, dont vous pouvez lire le règlement ici ; mais en bref (ha, ha), il s'agit d'écrire des textes courts (300 signes maximum) ayant un lien avec la science-fiction (même très lointain).

Ce deuxième point étant passé à la trappe lorsque j'ai écrit, j'ai fait trois textes pas vraiment en lien avec la SF, qu'il m'a fallu réadapter pour coller à la consigne (du coup, ils sont un peu bancals - m'étonnerait qu'ils gagnent quoi que ce soit, ceux-là). Mais comme la date limite de dépôt est le 31 mars et que j'aime bien l'idée qu'ils puissent persister quelque part dans leur version originelle , les voici :

***



Les songes de l’homme-rêve, d’une couleur d’ambre doré, tournaient plaisamment en rond.
Plus que les cartons humides, ils l’isolaient du vent urbain, qui cherchait à le mordre.
Ses doigts embrassaient la surface lisse du verre.
Le son confus des pas pressés du monde ne l’atteignait pas. Il ferma les yeux.


 ***


Le danseur, seul éclairé dans l’espace obscur ; si blanc, si blanc. Ses mouvements sont lents.
Son corps, une arche. Un ressort, qui claque ! Une flaque, qui meurt.
Puis une masse, informe, compacte, d’où s’érige, nu, l’humain.


 ***


Les colonies croissaient lentement dans la matrice humide.
L’obscurité les entourait. La vie, nourrie de la matière, prospérait.
Soudain, la lumière fut ! La température augmenta.
“Ce camembert est-il bien fait” ?