Des fois, les titres, ça vient comme ça, sans explication, presque comme par effraction. Je ne sais pas pourquoi j'évoque la folie de l'enfance dans ce titre, mais ce n'est n'est pas un mauvais titre car, à certains égards, plusieurs de ses héros ressemblent à des enfants, vivant souvent dans leur monde.
La première chose qui frappe, lorsqu'on ouvre un des derniers albums de Comès, c'est la personnalité graphique qui se dégage de ses planches. Dessinées en noir et blanc, elles témoignent d'un sens aigu des perspectives, des volumes et des ombres. Elles dessinent deux groupes de scènes : des scènes "concrètes", au trait souvent fourni, et des scènes "spirituelles" (dans lesquelles j'englobe les scènes de nature), souvent marquées par de grands aplats.
La majorité de ces scènes étant nocturnes, il fait la part belle à la
nuit. Il y a de magnifiques scènes de nuit enneigée sous un ciel d'encre.
Comme chez d'autres (Pratt en est, peut-être, l'exemple le plus flagrant), la simplicité apprente du trait masque une connaissance profonde de l'anatomie et des attitudes.
Ce trait clair, fait de courbes et d'angles aigus, est quasiment limité aux humains. Loin d'en faire des canons de beauté, Comès force au contraire le trait des caractères physiques, quasiment jusqu'à faire de ses personnages des stéréotypes de laideur - je reviendrai plus tard sur les aspects manichéens de ses BD. Le contraste entre le trait des figures humaines (ou humanoïdes) est particulièrement visible lorsqu'un personnage est en contact avec un animal: Iris sur le chat Merlin, la Belette et sa chevêche. Le réalisme des figures animales leur confère une réalité dont, peut-être, les humains sont dépourvus, qu'ils soient éveillés ou malfaisants.
Car il y a peu de ponts entre les deux, chez Comès ; il y a peu de personnages neutres et pas mal de manichéisme. C'est probablement ce que je lui reproche le plus : tous les "méchants", tenants d'un obscurantisme d'arrière-garde, sont laids.
Mais il faut aussi remettre Comès dans son contexte : sa vision du monde rural résulte à la fois de la fracture apportée par les guerres mondiales (un thème qu'on retrouve fréquemment chez lui), et des philosophies émanant de mai 68, avec son retour à la terre idéalisé(e) (mettez un "e" ou pas, au choix), Gaïa.
L'agriculteur est donc arriéré et cloue des chouettes à sa grange, ou est un homme brutal, profondément égoïste et enclin à profiter de la faiblesse de l'autre, le prêtre est un fou de
Dieu, le tenant de la technologie un arriviste sans cœur, etc. Par contraste, ceux qui se rapprochent de la nature-mère sont créateurs, beaux, magiques, ou tout ça à la fois.
Il y a tout de même quelques personnages plus nuancés : le clown, ami de Silence, est un violent au grand coeur. Il incarne un autre thème cher à Comès : les parias, les infirmes, les différents sont ceux qu'il met en avant. Le personnage de Silence est l'un des plus beaux qui soient : ce jeune homme autiste et pas méchant pour un sou, exploité par Abel Mauvy, et d'une certaine manière aussi par la sorcière.
Il se trouve entre deux mondes : la réalité, brutale, et la magie, qui n'est pas moins violente - la différence étant que la violence de la magie n'est pas gratuite, et que la sorcière finit par abandonner sa vengeance, alors qu'Abel reste cruel et brutal jusqu'au bout. Les lâches non plus n'ont pas la part belle chez Comès, et ils personnifient une forme de collaboration, complices de la destruction tout à la fois des gitans et des artistes - même si les torts de ceux-ci sont, peut-être, réels.
Ainsi, Comès est un homme de contraste : dans l'écrin de charbon de ces stéréotypes incarnant la méchanceté, la lâcheté, la médiocrité humaine, il place quelques perles : Silence, Salamandre, la Belette, etc.. Le caractère "inadmirable" des "mauvais" met en avant la beauté de ses héros, fussent-ils estropiés, handicapés, ou autre.
J'ai particulièrement aimé Silence, La Belette, Iris, La maison où rêvent les arbres, Eva, L'arbre-coeur, Dix de Der (drôle !). L'ombre du corbeau est intéressant quoique plus prévisible, Ergün l'Errant a moins bien vieilli !
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