dimanche 23 août 2015

Hugo

En écoutant cet été Guillaume Galienne raconter le matin un peu de la vie d'Hugo, j'ai eu envie de relire les Misérables. Je n'ai pas ici la prétention de faire un compte-rendu de lecture, travail pour lequel une vie suffirait à peine pour ce texte pléthorique et qui a probalement été effectué par bien meilleurs que moi, mais à livrer mes impressions.

L'ensemble du texte de cette œuvre majeure est jalonné de phrase qui montrent à quel point la misère est, dans cette partie de sa vie du moins, un des grands ennemis de Hugo.
Ainsi au début du livre deuxième, dans la partie intitulée "Le vaisseau Orion", lorsqu'il évalue le coût des coups de canon inutiles tirés pour des raisons protocolaires et conclut en disant "Ceci n'est qu'un détail. Pendant ce temps, les pauvres meurent de faim."  
Hugo donne d'ailleurs des raisons sociétales pour lutter contre la misère ; par exemple lorsqu'il dit que "Tous les crimes de l'homme commencent au vagabondage de l'enfant", il voit dans la lutte contre la misère un des premiers moyens de lutte contre le crime. Une vision encore bien d'actualité !

L'utopie

"Une bataille comme celle que nous racontons en ce moment n'est autre chose qu'une convulsion vers l'idéal. Le progrès entravé est maladif, et il a de ces tragiques épilepsies. Cette maladie du progrès, la guerre civile, nous avons dû la rencontrer sur notre passage. C'est là une des phases fatales, à la  fois acte et entr'acte, de ce drame dont le pivot est un damné social, et dont le titre véritable est : le Progrès.
Le Progrès !
Ce cri que nous jetons souvent est toute notre pensée [...].
Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, c'est, d'un bout à l'autre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de l'injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de l'appétit à la conscience, de la pourriture à la vie de la bestialité au devoir, de l'enfer au ciel, du néant à Dieu. Point de départ : la matière, point d'arrivée : l'âme. L'hydre au commencement, l'ange à la fin."
"Cette foule peut être sublimée. [...] Ces pieds nus, ces bras nus, ces haillons, ces ignorances, ces abjections, ces ténèbres, peuvent être employés à la conquête de l'idéal. [...] Ce vil sable que vous foulez aux pieds, qu'on le jette dans la fournaise, qu'il y fonde et qu'il y bouillonne, il deviendra cristal splendide, et c'est grâce à lui que Galilée et Newton découvriront les astres."   
Ce passage est révélateur du progressisme de Hugo, progressisme d'autant plus remarquable qu'il s'est construit au gré de l'expérience de l'auteur : Hugo n'est pas né dans un milieu libertaire, c'était un écrivain et homme politique plutôt de droite à l'origine. Mais le spectacle de la misère le feront évoluer, et lui feront tenir ce discours :
« Je ne suis pas de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps comme la lèpre est une maladie du corps humain, la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse, car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli [...] Je déclare qu’ [...] il y aura toujours des malheureux, mais qu’il est possible qu’il n’y ait plus de misérables ».
L'un des moyens de lutte qu'il défendra contre la misère est l'instruction gratuite et obligatoire (au moins au premier degré) pour tous.
 
Les reproches

En plusieurs endroits, Hugo reproche aux institutions leur opportunisme individualiste et, conséquence, leur passivité par rapport à la misère, leur inutilité, leur force d'inertie.
"Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue" ? D'abord, pour encombrer la rue ; ensuite, pour achever de se rouiller. Il y a dans le vieil ordre social une foule d'institutions qu'on trouve de la sorte sur son passage en plein air et qui n'ont pas pour être là d'autre raison."
 La charge, parfois pleine d'ironie, est souvent assez violente :
"Les hommes sont ainsi faits que, dans un salon, vous pouvez être crotté partout, excepté sur les souliers. On ne vous demande là, pour bien vous accueillir, qu'une chose irréprochables ; la conscience ? Non, les bottes."
En replaçant dans le passage suivant les mots "homme d'état" par "politicien", on se rend malheureusement compte que, malgré Hugo, peu de choses ont changé en France...
"Sitôt qu'une révolution a fait côte, les habiles dépècent l'échouement.
Les habiles, dans notre siècle, se sont décernés à eux-mêmes la qualification d'hommes d'état ; si bien que ce mot, homme d'état, a fini par être un peu un mot d'argot. Qu'on ne l'oublie pas en effet, là où il n'y a qu'habileté, il y a nécessairement petitesse."
Enfin, ce portrait de la conscience de Javert, qui passe de l'ogre au pathétique, me semble exhorter les instruments de l'Etat à accepter que la règle ne soit pas un dogme, mais un guide ; que, parfois, les règles aient tort, et les humains raison :
"Il se disait que c'était donc vrai, qu'il y avait des exceptions, que l'autorité pouvait être décontenancée, que la règle pouvait rester court devant un fait, que tout ne s'encadrait pas dans le texte du code, que l'imprévu se faisait obéir, que la vertu d'un forçat pouvait tendre un piège à la vertu d'un fonctionnaire, que le monstrueux pouvait être divin, que la destinée avait de ces embuscades-là, et il songeait avec désespoir que lui-même n'avait pas été à l'abri d'une surprise.
Il était forcé de reconnaître que la bonté existait. Ce forçat avait été bon. Et lui-même, chose inouïe, il venait d'être bon. Donc il se dépravait.
Il se trouvait lâche, il se faisait horreur.
L'idéal, pour Javert, ce n'était pas d'être humain, d'être grand, d'être sublime ; c''était d'être irréprochable."

Les Misérables, oeuvre titanesque, ne doit pas faire peur. Certes, c'est long, et dense ; mais, si l'on n'est pas un amoureux de Paris au même degré d'Hugo, on peut passer rapidement sur certaines descriptions des faubourgs (j'avoue sans honte l'avoir fait). Mais au-delà de cela, c'est aussi une écriture si belle qu'elle se lit facilement, et si riche qu'on y trouve toujours matière à apprécier. Au-delà du manifeste humaniste, de nombreux autres thèmes sont également abordés.

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