vendredi 9 octobre 2015

Lettré, imbécile !

J'ouvre les yeux.

Je me vois dans l'eau d'un miroir qui me fait face. Mon crâne est translucide, et je devine mon encéphale derrière mes globes oculaires. En plongeant à travers le reflet des mes pupilles, je le regarde, et je constate que son volume se réduit, de manière presque insensible ; mais inexorable, néanmoins.
Dans le même temps, je sens mon acuité me fuir, du sable qui tombe à travers mes mains en coupe et s'éparpille dans les tourbillons d'un vent puissant.
Je suis seul, au sommet de la dune ; à perte de vue, rien, ni personne. Je veux parler ; je n'y parviens pas. Je tente de crier ; rien n'y fait.
Au-dessus de moi, un ciel lavé à l'encre de Chine ; de plomb, de plomb.
Sous mes pieds, le sable se dérobe, des idées qui s'enfuient, que je touche pourtant ! mais que je ne peux fixer et qui ne me supportent plus. Elles fuient, elles ne me soutiennent plus.
Je traverse une montagne de sable, pour atterrir dans une officine grise, je m'y écrase, je m'aplatis.
Ma colonne vertébrale est molle, ce qui a le double avantage de me permettre de me courber sur les livres et devant mes congénères. Faible, non par les lettres mais en dépit d'elles, je parle néanmoins haut pour n'en rester pas moins bas, vide, creux.

Oh, je sais des choses, mais les entrepose dans mon grenier crânien, où un plancher instable supporte des monceaux de choses oubliées sous une couche de scories.
Je suis un lettré sans pensée. Lettré, imbécile !

Je ferme les yeux et je me lève pour la journée.

* * *

Depuis un moment maintenant, les mots et les idées me fuient ; les mots, ces fascinants outils, vecteurs, et plus souvent peut-être qu'on ne pourrait le croire, initiateurs de la pensée. Je me sens à côté dans mes propos, en décalage par rapport à ceux qui m'entourent. Lettré (un peu), mais imbécile !
Heureusement, de temps en temps, surviennent de ces petits évènements, de ces petites coïncidences amusantes qui remettent un peu d'allant dans la grisaille qui m'obscurcit l'esprit. Ainsi, alors que je relis De Cape et de Crocs, puis que je parlais un peu de Cyrano ici ces derniers jours, j'ai entendu ce matin à la radio une interview de Jean-Paul Rappeneau, qui l'a mis en scène à l'écran. Dans ce film, Depardieu est formidable, et si je ne dois garder qu'un souvenir de lui ce sera peut-être celui-là (je retiendrai peu de chose de ses propos hors écran par exemple).
Pour le plaisir, quelques extraits mémorables :



 

Le reste du film est à l'avenant, et se découvre avec délectation !



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