vendredi 30 janvier 2015

Bois...

Il m'arrive souvent, lors de mes pérégrinations, de tomber sur un morceau de bois à la forme évocatrice, et je m'amuse à y trouver des personnages. Fantasmagoriques autant qu'illusoires, éphémères, ces figures transitoires sont liées à l'évolution d'un bois mort. Parfois, c'est l'action du bûcheron, parfois c'est un évènement naturel, ou simplement le temps qui a servi de révélateur,  comme les bains qu'on utilisait il y a encore peu de temps pour développer une photographie - ça a bien changé ! Alors, je vous invite à flâner dans cette aile de la galerie de mes rêveries, futiles et capillotractées (1) ; peut-être n'y verrez-vous rien, ou autre chose, ou la même chose que moi, qui sait ? Comme je veux vous laisser la liberté d'interpréter ces photos, ce que j'ai vu dans chacune est en bas de cette partie d'article, au numéro correspondant.

1. IMGP22347 2.IMGP0086_le_cri 3.IMGP0098_cochon
4.IMGP13517 5.IMGP3502 6.IMGP3795
7.IMGP14205 8.IMGP19011_triste IMGP19012_crâne
9.IMGP8000 IMGP8001
10. IMGP1614
Comme je suis une bille et que je n'ai pas réussi à créer de lien interne entre la photo et  le texte (je vais peut-être me faire un site perso, un jour lointain...) mais afin de vous éviter quand même de remonter jusqu'à la photo correspondante, j'ai remis des liens ci-dessous :
  1. Cette bille résulte de la coupe d'une vieille souche, qui a fendu sous l'action du gel, ou de l'eau ; elle m'évoque une face tranchée en deux de haut en bas : visage picassien, monstre à la bouche verticale, face blessée d'un coup vertical ? Je ne sais pas. Il y a une nouvelle de Stephen King (attention, le lien contient un spoiler) qui évoque la scissiparité, et ça m'y avait fait penser, sur le coup. En tout cas, cette vieille souche me paraissait terriblement parlante (même si je ne suis pas sûr de ce qu'elle dit !).
  2. Vous allez peut-être trouver cela complètement barré (mais j'assume), mais ce bout de bouleau mangé de moisissures, avec ses trois trous de pics figurant deux yeux et une bouche grande ouverte dans une face livide, m'a fait penser au Cri de Munch. C'est fou, hein ?
  3. J'ai trouvé dans ce morceau d'écorce décollée un groin pointant à droite, surmontant une bouche fendue, un petit oeil, et même le semblant d'une oreille...Tête de cochon ! (mais certains y voient plutôt un ours...A vous de voir)
  4. Ce début de loupe sur un tronc couché de vieux châtaignier creux devient la tête d'un monstre goulu s'extrayant de la matière brute du bois sec...Moqueur, avide, désespéré, ou souffrant, qu'y voyez-vous ?
  5. La coupe en section d'un jeune charme, qui révèle un visage regardant à gauche - qui m'a fait penser, sur le coup, à Croquignol.
  6. Une racine usée par le temps, mais qui avait amalgamé un caillou - comme cela arrive parfois - qui constitue l'oeil d'une tête rigolarde au long nez pointant vers la droite.
  7. Oui oui, un éléphant qui barrit, farpaitement.
  8. Ce sont deux faces d'un même piquet de clôture croisé au détour d'un chemin. De l'oeil triste du premier, irrité par une paille, semble couler une larme accompagnant une bouche aux coins affaissés accentuant une impression de tristesse un poil surjouée - on devine un pleurnichard prompt à se plaindre d'une paille qu'un voisin lui mettrait dans l'oeil sans voir la poutre qu'il lui inflige lui-même. Le second est nettement plus inquiétant : ce grand oeil cave, et cette petite narine, cette absence de bouche - à moins que ce ne soit la diagonale pas nette qu'on voit dessous, m'ont fait penser au crâne décharné d'un oiseau de malheur. Un poteau évocateur - mais inquiétant, donc. ç'aurait pu être un totem s'il n'avait eu pour mission de garder, noyé dans la masse de ses congénères, un troupeau de Prim'Holstein.
  9. Là encore, dans les deux extrémités de ce bout de bois flotté trouvé sur une plage j'ai trouvé deux tronches surmontées de coiffes et affublées de barbes, pourvues de becs, peut-être les dignitaires mélancoliques d'un royaume avien ? Ils avaient, en tout cas, voyagé sur l'onde noire de la mer vineuse.
  10. Dans ce morceau de bois verdi, j'ai vu la tête d'un dragon mort. On en voit le cou fort, et on devine, à droite, le pli d'une puissante épaule. Eût-il été plus grand,  j'aurais dit qu'une végétation malsaine s'était développée sur la chair du géant, l'incorporant au paysage au même titre que collines et montagnes - mais vu la taille, il doit s'agir d'un simple dragonnet.
Ces fantasmagories ne sont pas forcément très gaies, j'en ai peur ! Mais cela tient sans doute au fait qu'elles découlent de bois en cours de décomposition, d'aubier dégradé, de duramen usé. Pour compléter ce billet déjà un peu long, voici un texte court que j'avais écrit il y a quelques années pour un appel à texte - certains d'entre vous le reconnaîtront peut-être :

Bois

 Brut

J'examine le bloc, sec.  Du tilleul, un bois clair, qui n'a pas de sens : quel que soit le sens dans lequel on le travaille, il ne crée pas d'aspérité, il ne casse pas pour cause de tension exercée dans une mauvaise direction au mauvais endroit. C'est une loupe, une excroissance pleine de circonvolutions dues à la croissance contrariée du bois, et qui dessineront à la surface de...l'objet...des dessins fantasques, fugaces si ce terme peut être appliqué au mouvement figé dans la matière.  Il est écorcé, défait de l'aubier, j'y vais.

Entame

Quelle heure? Incongru. J'y suis, je sue, ma râpe entame la matière, l'apprivoise et s'en accommode, mais mes mains cherchent à m'échapper, je dois les contrôler constamment pour éviter le coup de trop qui ruinerait ce qui est en train d'apparaître. La sciure vole, capte la lumière de la fenêtre sale en draperies grises.  J'attaque avec rudesse, les dents d'acier usent le matériau tendre, je pose ma triangulaire pour prendre une demi-lune, je vais attaquer l'arrondi en creux, là, lové dans son coin.  Ça vient, je la tiens je la vois, je vois la forme s'extraire du duramen, une ébauche, une flammèche seulement pour l'instant, qu'il faut entretenir avec précaution pour qu'elle devienne brasier et enflamme l'imagination des autres comme elle le fait avec la mienne en cet instant de fièvre.

Façonne

Fini le travail de lime, la râpe danse sur le bois. On ne dégrossit plus, on affine, là, les courbes, là, l'angle, le méplat, la concavité légère, presque imperceptible qui donne son relief à l'ensemble. Je vole d'angle d'attaque en angle d'attaque, rapidement, avec délicatesse. Je suis fou, je travaille sans méthode sans réflexion, sinon je ne peux pas tenir mes mains, elles veulent faire des conneries, je le sens, mais elle est là, elle est là !  Elle m'échappe. Elle glisse, je commence à réfléchir, c'est foutu, je la perds, elle part, je la rattrape, elle glisse je l'agrippe du bout de l'esprit ! Transe.

Finit

Ha ! J'ai l'esprit clair comme la lumière des matins glacés d'hiver. Je suis sur le point de finir. Le temps a passé, je le sais, c'est pas grave, je m'en fous : elle est là, devant moi. J'ai le papier de verre sur sa cale, j'inspire, j'y vais je plonge.  Allez, ma belle, ce sont les derniers coups, le papier grossier, puis de plus en plus fin, j'approche du méplat imperceptible, je vois bien qu'il lui manque quelque chose à celui-là, j'y vais et je m'arrête. Je ne sais pas ce qu'il y a ! Quelque chose ne va pas, mais je ne sais pas quoi ! Mon esprit tourne dans le vide, je suis vide tout entier, plus rien, un mannequin au regard vacant. Mes yeux sont fixés sur la pièce de bois, mais je la vois à peine, une goutte de sueur coule sur mon front dans mes yeux ? Non, elle prend le chemin de mon nez, c'est con mais ça me relance, je sais de nouveau, je sais !  J'approche mes mains pour user juste le petit coup nécessaire, et j'hésite de nouveau, je sens mes mains partir en vrille, c'est pas bon, pas bon. Mes doigts hésitent, à un rien de la forme imparfaite, pour le coup la sueur m'inonde les paupières, je pose le papier, je le relève. Pas la bonne position, pas le bon endroit, pas le bon mouvement, j'inspire, je m'y remets. Là, je crois que j'y suis, je pousse en esprit avant de contraindre mes mains à produire le Geste, au dernier moment, je sens qu'elles décalent, mais c'est trop tard, c'est lancé, je n'ai plus qu'à les forcer, elles doivent m'obéir, bordel, c'est mes mains ! Les doigts se tordent vicieusement d'un rien qui suffirait à tout détruire, mais je ne les écoute pas et je frotte le bois sur un demi-centimètre, une fois, deux fois, trois fois, j'arrête mes mains avant qu'elles fassent le quatrième tour, elles protestent mais ce n'est plus qu'un baroud, j'ai gagné.  
Je me relève, je suis en sueur, je tremble, mais j'ai réussi, elle est devant moi, je la vois sur son socle. Et quand elle sera exposée à tous les regards, quelqu'un d'autre la verra-t-il ?

Et vous, le bois vous inspire-t-il des rêveries similaires ? Ou une autre matière ? Partagez-vous ma marotte follette de voir des visages et des figures, des motifs, là où, censément, il n'y en a pas ?

(1) : tiré par les cheveux, bien sûr

Note : Comme je n'arrive pas à importer mon blog précédent, je colle dessous les commentaires émis sur ce billet.  

entdaurog

Merci merci ! Cool de savoir que je ne suis pas seul au monde à voir le Cri là-dedans (j’avais un doute !) !
C’est excellent ce qu’il fait ce mec ! Oui, il triche un peu, mais le résultat est tellement bluffant ! Il a l’oeil, c’est clair. Merci beaucoup pour le lien, c’est une découverte pour moi !

 Kalys
Bravo pour ces superbes photos, et les textes qui les accompagnent qui le sont plus encore ! Je vois toujours beaucoup de choses dans les formes de la Nature, mais je serais bien incapable de les décrire si bien ! Mention spéciale au n°8. Quant au 2… Oui, je le vois aussi :)
Tiens, je te conseille d’aller voir ça : http://trees.viralnova.com/amazing-mirror-photographer/
C’est tricher, puisque le photographe utilise un miroir, mais… justement, avec seulement un miroir, c’est que le monsieur a l’œil, et je trouve le résultat très poétique.

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