vendredi 30 janvier 2015

Chauds les marrons !


Le réchauffement climatique est une problématique largement abordée dans les médias, la société civile, etc.
Mais comment est-il possible de lire, le même jour, sur le site du Monde, les deux infos suivantes côte à côte :
1) l’acidification des océans est un témoin fiable du réchauffement climatique, et non seulement un témoin, mais aussi un acteur de ce réchauffement, un des mécanismes qu’on a lancés sans le savoir en augmentant les émissions de gaz à effet de serre (lien),
2) l’Europe noie dans un changement de règlementation l’autorisation d’importer n’importe quel pétrole dans l’Union Européenne, sans plus faire de distinction, et donc y compris le pétrole issu de l’exploitation de sables bitumineux, exploitation plus polluante que la production “traditionnelle” de pétrole (lien).
Ami lecteur, je ne mens pas, la copie d’écran est là-dessous :

Site du Monde du 19/12/14, copie d'écran
Site du Monde du 19/12/14, copie d'écran
Comble de la galéjade, en suivant le lien “Lire aussi: Le pétrole sale du Canada divise les Européens”, on apprend que ce changement de règlementation intervient notamment sous l’impulsion de notre bien-aimée mère patrie, qui accueille, si vous ne le saviez pas, la conférence sur le climat en décembre 2015.
Rappelons que cette conférence a pour objectif d’ “aboutir à l’adoption d’un premier accord universel et contraignant sur le climat pour maintenir la température globale en deçà de 2°C” . La France, en tant que présidente, aura pour rôle, notamment, d’ “établir un climat de confiance, rapprocher les points de vue et permettre une adoption de l’accord à l’unanimité”, (je cite le ministère du développement durable). Je sens qu’on va être crédible, tiens.
Si l’on se base sur les résultats de la conférence de Lima (décembre 2014), qui devait jeter les bases d’une confiance permettant d’aboutir à cet accord contraignant (http://www.jevotepourleclimat.fr/fr/information/41015/conference-climat-cop-20), eh ben, c’est pas forcément gagné.
Alors, maintenant, quoi ? On se gausse et on attend une énième pantalonnade du type coûteux et inutile, où on peut s’attendre à voir défiler des gens très sérieux parlant d’économie (oui oui, d’économie, pas d’écologie) pour aboutir à un report aux calendes grecques ? Ben, franchement, on pourrait, oui.
Mais en même temps, avant que de se poser devant sa télé avec un plateau chips - bière en attendant le spectacle, attitude convenons-en bien peu constructive, revenons un peu sur “pourquoi le réchauffement climatique c’est pas bien?”, version polie du “merde, ça craint, en fait”, ou du “Pourquoi les écolos font chier ?”.
illustratie
(J'ai emprunté ce dessin à Claude Serre)
Parce que les écolos ne dorment à peu près tranquillement qu’avec le sentiment qu’ils ont fait quelque chose pour limiter l’incidence de la présence de l’homme sur leur environnement. Et l’environnement, ce n’est pas uniquement la faune et la flore, même si ça en fait bien sûr partie : c’est aussi le sol, l’air, l’eau...et les gens. Eh oui, les gens. Or, le réchauffement climatique va avoir un impact sur tous les compartiments de l’environnement :
- sur la faune et la flore : la modification rapide de températures va créer des conditions de sélection nouvelles au sein des espèces actuelles (en fait c’est déjà le cas). Certaines y survivront, en s’adaptant (en déplaçant leur répartition, ou par la survie d’individus plus aptes que d’autres à se reproduire dans ces nouvelles conditions), d’autres non (étant donné l vitesse de ce réchauffement), et celles-ci devront être ajoutées à la déjà très longue liste des organismes détruits par l’homme. On peut imaginer que les reliques glaciaires sont plutôt mal barrées, tourbières en tête. Pour elles, le changement, c’est maintenant...Et c’est pas une promesse en l’air, tout homme de gauche que je sois, c’est désormais un fait ;
- sur ce qu’on va appeler l’environnement non vivant (air, sol, eau - mais du coup aussi sur les organismes qu'ils contiennent) : des étendues de sol importantes vont passer le seuil de l’aridité, la calotte glaciaire fond, on peut imaginer aussi des pics de densité de polluants atmosphériques dans les villes de vallée (Lyon, si tu me lis...) ;
- sur les gens, et là je vais développer un peu, parce que, ami lecteur, je sens que c’est ce qui va le plus t’intéresser. Je vous conseille à ce sujet la lecture de Saison brune de Squarzoni, ce qu’il y dit est beaucoup plus complet que ce que j’en dis ici. Une partie de ce qui suit en est tiré.
Le réchauffement global de la planète se traduit d’ores et déjà par des sécheresses plus nombreuses et plus intenses dans les pays chauds. Par conséquent, cultiver le sol est beaucoup plus compliqué qu’avant, et c’était déjà pas forcément la folie. Avec l’augmentation encore à venir des températures, c’est un phénomène qui va s’accentuer et s’étendre. Les pays du sud auront plus de mal à se nourrir, avec une partie de la surface agricole stérilisée. L’exode rural est déjà en marche.
En plus, le niveau des océans va augmenter, en raison de la fonte des glaces qui se trouvent au-dessus du niveau de la mer (ça aussi, c’est déjà commencé). Outre que cela va consommer de l’espace agricole (en plus, sur la frange à température tempérée, probablement moins aride), les populations côtières vont également devoir se déplacer.
Tous ces déplacements forcés de populations vont poser de nombreux problèmes : où loger ces gens, comment les nourrir, comment vont-ils trouver du travail alors qu’il n’y en aura pas forcément ? Des problèmes diplomatiques aussi, sans doute : un pays accueillera-t-il avec compassion des réfugiés de la faim par milliers(ions) parce que leurs terres sont devenues stériles ou sont sous les eaux ? Allons, allons, vous connaissez comme moi la nature humaine. Et même si un pays était disposé à le faire envers un pays “allié” ou “neutre”, est-ce qu’il le ferait envers un pays “ennemi” - une tendance historique étant d'avoir des "ennemis" à côté de chez soi, c'est plus pratique.
D’ailleurs, la nature humaine fait aussi qu’en situation de tension, les gens puissants (par l’argent, l’influence) soit quittent le territoire devenu sensible parce qu’ils en ont les moyens (et pas les autres), soit prennent les rênes du commandement. D’où la possibilité de tensions aggravées, voire une émergence possible de régimes totalitaires.
Par contre, dans les pays froids ou tempérés, l’augmentation des températures va atténuer l’intensité des hivers (j’ai trouvé l’hiver 2013-2014 très doux, pas vous ? Et 2014-2015 prend le même chemin, on dirait). Il est possible (mais seulement possible) que les rendements de certaines cultures augmentent en moyenne dans les années / décennies à venir. Cool ?
Hey, je viens de dire que les pays du Sud allaient souffrir grave, et que nous on allait avoir des effets bénéfiques, limités mais quand même...Ah oui, j’ai oublié , devinette : qui sont les plus gros pollueurs du monde ? Tadaa, les pays du Nord. Oui, c’était facile. Qui est responsable de l’immense majorité de l’émission de gaz à effet de serre ? Ben c’est nous, oui.
Donc je la refais : les pays du Sud vont souffrir grave et pas nous (enfin, dans les premiers temps, après, ça va se gâter), à cause d’un phénomène dont nous sommes très très très majoritairement responsables.
A leur place, je nous en voudrais un peu. Beaucoup, même, à bien y réfléchir. Les inégalités Nord-Sud, c’est pas des blagues, il suffit de comparer le niveau de vie entre pays, mais n’importe qui sait intuitivement que nos conditions de vie concrètes (je ne parle pas de bonheur, c’est un autre débat) sont objectivement plus favorables. Ce qui est le cas depuis bien longtemps maintenant...Or, une partie de l’enjeu des négociations climatiques en cours est de dire à ces gens : “Oui, on a fait des conneries dans le passé, et c’est pourquoi vous ne mangez pas assez depuis des décennies et qu’un cyclone vient de démolir votre ville, mais on voudrait que vous fassiez l’effort de ne pas chercher à atteindre le niveau de vie qui est le nôtre actuellement quand même. Et sans rancune, hein !”. Sans parler de notre super passé commun avec ces pays-là : guerre, colonialisme et esclavage...
A votre avis, est-ce que ça risque d’engendrer des tensions internationales ?
L’autre partie des enjeux, tout aussi folichonne étant “Alors les mecs des pays du Nord, chers compatriotes, il va falloir un poil se serrer la ceinture, genre utiliser moins la voiture, fini les voyages en avion pour se faire plaisir aux Bahamas - d’ailleurs elles vont disparaître -, mettre un pull plutôt que se surchauffer, manger moins de viande, tout ça”. Je vois votre tête d’ici les aminches, mais rassurez-vous, les Américains ont développé un urticaire bien plus violent que le vôtre.
Alors bon, ce n’est qu’un tour rapide et très synthétique des raisons pour lesquelles "le réchauffement climatique c’est pas bien", mais j’espère que ça vous a suffisamment causé pour espérer, comme moi, vous qu’il sorte quelque chose d’un peu plus gros qu’une souris :
- des négociations qui vont avoir lieu maintenant pour préparer la conférence de Paris ;
- de la conférence de Paris, qui sera la vitrine et la concrétisation de ces négociations.
Ceci posé, est-ce qu’on se dit : c’est foutu, on n’y arrivera jamais, le climat va changer alors on attend que ça passe, et nous dans les pays riches on s’en sortira toujours parce qu’avec notre industrie et notre technologie on pourra s’adapter ? Si vous pensez-ça, ben...c’est que vous êtes arrivés à ce point de ce long billet sans rien y comprendre, soit je ne suis pas clair, soit je ne peux rien faire pour vous !
Non, ce qu’on peut faire de constructif, c’est d’essayer de limiter notre empreinte écologique, puisque c’est l’indicateur qu’on utilise notamment pour estimer la quantité de ressources qu’on utilise, et donc l’énergie qu’on consomme et, la majorité de l’énergie qu’on utilise étant polluante (tout compris, hein, de la fabrication des objets qu’on utilise au chauffage), la quantité de gaz à effet de serre qu’on émet (directement ou non).
Alors il est certain qu’aucun effet à la fois intense et à long terme ne pourra être obtenu sans une volonté politique regroupant un max de pays ; mais cette volonté politique ne sera efficace que si elle est suivie des populations.
Quoi qu’il en soit, c’est promis, s’il sort quelque chose de concret, de contraignant et qui se donne les moyens d’obtenir des vrais résultats de la conférence de Paris, je dédierai une page à Laurent Fabius pour dire tout le bien qu’à ce moment-là je penserai de lui. C’est un grand honneur : je n’ai même jamais imaginé une seconde faire l’aumône d’un écrit à quelque politicien(ne) que ce soit (politique est un mot à la fois trop riche et trop galvaudé par notre classe dirigeante pour être utilisé dans ce contexte).
En conclusion, je le redis : lisez Saison Brune, de Squarzoni. C’est une mine bien plus riche et intéressante d’informations que ce texte limité.


Note : Comme je n'arrive pas à importer mon blog précédent, je colle dessous les commentaires émis sur ce billet.



Salut frérot,
je le redis, ce roman graphique, c’est du dense, du lourd, du bon, notamment parce que l’auteur se met aussi en perspective par rapport au discours théorique.
Pour ce qui est d’un site perso, oui, ce serait sans doute mieux, mais je n’ai pour l’instant pas de certitude sur le fait que je serai suffisamment assidu sur le long terme pour que ce soit intéressant, indépendamment du fait qu’on est un peu réfractaire à toute dépense évitable en ce moment…

J’avais entendu beaucoup de bien de Saison Brune, mais pas encore lu. Je m’y mettrais !
Rien à voir, mais sur la forme du site : ça te dit pas de faire ton propre site, même en partant de framework existant comme WordPress ? Ça te permettrait d’être plus libre dans la forme. (Par contre faudra trouver un hébergement)

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