Il m'arrive souvent, lors de mes pérégrinations, de tomber sur un
morceau de bois à la forme évocatrice, et je m'amuse à y trouver des
personnages. Fantasmagoriques autant qu'illusoires, éphémères, ces
figures transitoires sont liées à l'évolution d'un bois mort. Parfois,
c'est l'action du bûcheron, parfois c'est un évènement naturel, ou
simplement le temps qui a servi de révélateur, comme les bains qu'on
utilisait il y a encore peu de temps pour développer une photographie -
ça a bien changé ! Alors, je vous invite à flâner dans cette aile de la
galerie de mes rêveries, futiles et capillotractées (1) ; peut-être n'y
verrez-vous rien, ou autre chose, ou la même chose que moi, qui sait ?
Comme je veux vous laisser la liberté d'interpréter ces photos, ce que
j'ai vu dans chacune est en bas de cette partie d'article, au numéro
correspondant.
9.
10.
Comme
je suis une bille et que je n'ai pas réussi à créer de lien interne
entre la photo et le texte (je vais peut-être me faire un site perso,
un jour lointain...) mais afin de vous éviter quand même de remonter
jusqu'à la photo correspondante, j'ai remis des liens ci-dessous :
- Cette
bille résulte de la coupe d'une vieille souche, qui a fendu sous
l'action du gel, ou de l'eau ; elle m'évoque une face tranchée en deux
de haut en bas : visage picassien, monstre à la bouche verticale, face
blessée d'un coup vertical ? Je ne sais pas. Il y a une nouvelle de Stephen King (attention, le lien contient un spoiler)
qui évoque la scissiparité, et ça m'y avait fait penser, sur le coup.
En tout cas, cette vieille souche me paraissait terriblement parlante
(même si je ne suis pas sûr de ce qu'elle dit !).
- Vous allez
peut-être trouver cela complètement barré (mais j'assume), mais ce bout
de bouleau mangé de moisissures, avec ses trois trous de pics figurant
deux yeux et une bouche grande ouverte dans une face livide, m'a fait
penser au Cri de Munch. C'est fou, hein ?
- J'ai
trouvé dans ce morceau d'écorce décollée un groin pointant à droite,
surmontant une bouche fendue, un petit oeil, et même le semblant d'une
oreille...Tête de cochon ! (mais certains y voient plutôt un ours...A
vous de voir)
- Ce début de loupe sur un tronc couché de vieux
châtaignier creux devient la tête d'un monstre goulu s'extrayant de la
matière brute du bois sec...Moqueur, avide, désespéré, ou souffrant,
qu'y voyez-vous ?
- La coupe en section d'un jeune charme, qui révèle un visage regardant à gauche - qui m'a fait penser, sur le coup, à Croquignol.
- Une
racine usée par le temps, mais qui avait amalgamé un caillou - comme
cela arrive parfois - qui constitue l'oeil d'une tête rigolarde au long
nez pointant vers la droite.
- Oui oui, un éléphant qui barrit, farpaitement.
- Ce
sont deux faces d'un même piquet de clôture croisé au détour d'un
chemin. De l'oeil triste du premier, irrité par une paille, semble
couler une larme accompagnant une bouche aux coins affaissés accentuant
une impression de tristesse un poil surjouée - on devine un pleurnichard
prompt à se plaindre d'une paille qu'un voisin lui mettrait dans l'oeil
sans voir la poutre qu'il lui inflige lui-même. Le second est nettement
plus inquiétant : ce grand oeil cave, et cette petite narine, cette
absence de bouche - à moins que ce ne soit la diagonale pas nette qu'on
voit dessous, m'ont fait penser au crâne décharné d'un oiseau de
malheur. Un poteau évocateur - mais inquiétant, donc. ç'aurait pu être
un totem s'il n'avait eu pour mission de garder, noyé dans la masse de
ses congénères, un troupeau de Prim'Holstein.
- Là encore, dans
les deux extrémités de ce bout de bois flotté trouvé sur une plage j'ai
trouvé deux tronches surmontées de coiffes et affublées de barbes,
pourvues de becs, peut-être les dignitaires mélancoliques d'un royaume
avien ? Ils avaient, en tout cas, voyagé sur l'onde noire de la mer
vineuse.
- Dans ce morceau de bois verdi, j'ai vu la tête d'un
dragon mort. On en voit le cou fort, et on devine, à droite, le pli
d'une puissante épaule. Eût-il été plus grand, j'aurais dit qu'une
végétation malsaine s'était développée sur la chair du géant,
l'incorporant au paysage au même titre que collines et montagnes - mais
vu la taille, il doit s'agir d'un simple dragonnet.
Ces
fantasmagories ne sont pas forcément très gaies, j'en ai peur ! Mais
cela tient sans doute au fait qu'elles découlent de bois en cours de
décomposition, d'aubier dégradé, de duramen usé. Pour compléter ce
billet déjà un peu long, voici un texte court que j'avais écrit il y a
quelques années pour un appel à texte - certains d'entre vous le
reconnaîtront peut-être :
Bois
Brut
J'examine le bloc, sec. Du
tilleul, un bois clair, qui n'a pas de sens : quel que soit le sens
dans lequel on le travaille, il ne crée pas d'aspérité, il ne casse pas
pour cause de tension exercée dans une mauvaise direction au mauvais
endroit. C'est une loupe, une excroissance pleine de circonvolutions
dues à la croissance contrariée du bois, et qui dessineront à la surface
de...l'objet...des dessins fantasques, fugaces si ce terme peut être
appliqué au mouvement figé dans la matière. Il est écorcé, défait de l'aubier, j'y vais.
Entame
Quelle
heure? Incongru. J'y suis, je sue, ma râpe entame la matière,
l'apprivoise et s'en accommode, mais mes mains cherchent à m'échapper,
je dois les contrôler constamment pour éviter le coup de trop qui
ruinerait ce qui est en train d'apparaître. La sciure vole, capte la
lumière de la fenêtre sale en draperies grises. J'attaque
avec rudesse, les dents d'acier usent le matériau tendre, je pose ma
triangulaire pour prendre une demi-lune, je vais attaquer l'arrondi en
creux, là, lové dans son coin. Ça
vient, je la tiens je la vois, je vois la forme s'extraire du duramen,
une ébauche, une flammèche seulement pour l'instant, qu'il faut
entretenir avec précaution pour qu'elle devienne brasier et enflamme
l'imagination des autres comme elle le fait avec la mienne en cet
instant de fièvre.
Façonne
Fini
le travail de lime, la râpe danse sur le bois. On ne dégrossit plus, on
affine, là, les courbes, là, l'angle, le méplat, la concavité légère,
presque imperceptible qui donne son relief à l'ensemble. Je vole d'angle
d'attaque en angle d'attaque, rapidement, avec délicatesse. Je suis
fou, je travaille sans méthode sans réflexion, sinon je ne peux pas
tenir mes mains, elles veulent faire des conneries, je le sens, mais
elle est là, elle est là ! Elle
m'échappe. Elle glisse, je commence à réfléchir, c'est foutu, je la
perds, elle part, je la rattrape, elle glisse je l'agrippe du bout de
l'esprit ! Transe.
Finit
Ha
! J'ai l'esprit clair comme la lumière des matins glacés d'hiver. Je
suis sur le point de finir. Le temps a passé, je le sais, c'est pas
grave, je m'en fous : elle est là, devant moi. J'ai le papier de verre
sur sa cale, j'inspire, j'y vais je plonge. Allez,
ma belle, ce sont les derniers coups, le papier grossier, puis de plus
en plus fin, j'approche du méplat imperceptible, je vois bien qu'il lui
manque quelque chose à celui-là, j'y vais et je m'arrête. Je ne sais pas
ce qu'il y a ! Quelque chose ne va pas, mais je ne sais pas quoi ! Mon
esprit tourne dans le vide, je suis vide tout entier, plus rien, un
mannequin au regard vacant. Mes yeux sont fixés sur la pièce de bois,
mais je la vois à peine, une goutte de sueur coule sur mon front dans
mes yeux ? Non, elle prend le chemin de mon nez, c'est con mais ça me
relance, je sais de nouveau, je sais ! J'approche
mes mains pour user juste le petit coup nécessaire, et j'hésite de
nouveau, je sens mes mains partir en vrille, c'est pas bon, pas bon. Mes
doigts hésitent, à un rien de la forme imparfaite, pour le coup la
sueur m'inonde les paupières, je pose le papier, je le relève. Pas la
bonne position, pas le bon endroit, pas le bon mouvement, j'inspire, je
m'y remets. Là, je crois que j'y suis, je pousse en esprit avant de
contraindre mes mains à produire le Geste, au dernier moment, je sens
qu'elles décalent, mais c'est trop tard, c'est lancé, je n'ai plus qu'à
les forcer, elles doivent m'obéir, bordel, c'est mes mains ! Les doigts
se tordent vicieusement d'un rien qui suffirait à tout détruire, mais je
ne les écoute pas et je frotte le bois sur un demi-centimètre, une
fois, deux fois, trois fois, j'arrête mes mains avant qu'elles fassent
le quatrième tour, elles protestent mais ce n'est plus qu'un baroud,
j'ai gagné.
Je
me relève, je suis en sueur, je tremble, mais j'ai réussi, elle est
devant moi, je la vois sur son socle. Et quand elle sera exposée à tous
les regards, quelqu'un d'autre la verra-t-il ?
Et
vous, le bois vous inspire-t-il des rêveries similaires ? Ou une autre
matière ? Partagez-vous ma marotte follette de voir des visages et des
figures, des motifs, là où, censément, il n'y en a pas ?
(1) : tiré par les cheveux, bien sûr
Note : Comme je n'arrive pas à importer mon blog précédent, je colle dessous les commentaires émis sur ce billet.